Correspondance de Nicolas Poussin/28 mars 1665

Texte établi par Charles Jouanny, Jean Schemit (p. 464-466).
211. — Poussin à Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 257[1].)
A Monsieur de Chantelo, Consr du Roy et Maistre ordinaire de son hostel, Rue St Thomas du Louure, A Paris[2].

[28e Mars 1665.

Respond à lassurance que je luy ay donnée de seruir son héritier à sa prière. Il se plaint de ce quil lest allé trouuer à Rome[3].]

Monsieur

Le Contentement que Jei repceu par la vostre dernière du Chateau du Loir ne se peut esprimer, mais se contentement a trop peu duré aiant esté trauersé par l’impertinense de se misérable étourdi nepueu[4] pour le subiet duquel je vous ai importuné, et prié de protéger après mon trépas. Se que vostre bonté m’a bien voulu acorder, et promettre, Je vous suplie de rechef de vous en souuenir quand il sera temps. Se misérable rustique sans cerueau, et ignorant M’est venu troubler le repos ou je viuois de sorte que je n’ai peu vous venir remercier plus tost me trouuant quasi hors de moi mesme pour le déplaisir que jei repsu de sa part. Je vous viens demander escuse d’auoir tant tardé à confesser que vous estes seluy à qui Je suis le plus obligé et redeuable qui estes mon refuge, et à qui je serai tant que je viurai

Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobligé
Seruiteur LE POUSSIN
le 28 mars 1665[5]
à Rome

Je baise trèshumblemt
les mains à madame
de Chantelou[6].

  1. Cette lettre n’est pas la dernière échangée entre Chantelou et Poussin. En tout cas, Chantelou note, le 18 août 1665, dans son Journal du Cavalier Bernin en France : « J’ai prié le signor Mathie de mettre dans le paquet du Cavalier une lettre que j’écrivais à M. Poussin ; ce qu’il a fait » (éd. Lalanne, p. 104).
  2. Cette adresse est écrite d’une main particulièrement tremblée.
  3. M. de Chennevières, insuffisamment renseigné sur la famille Le Tellier, a cru que Jean Le Tellier était l’auteur de l’équipée qui avait tant indisposé le Poussin ; c’est qu’il ignorait que ce jeune homme n’avait que seize ans en 1665 : ce n’est donc pas lui qui a pu aller à Rome. Mais Jean avait un frère aîné, Mathias, né en 1644, par conséquent âgé de vingt et un ans en 1665 ; c’est lui probablement qui est allé solliciter Poussin à Rome, et ce qui semble l’établir, c’est que son oncle le déshérita [et ne le nomma même pas] quand il dicta son testament le 21 septembre 1665 » (V. Advielle, Recherches sur Poussin, p. 121, d’après le Bull. de l’Hist. de Normandie, 1875-1880, p. 151). Voir le tableau généalogique plus loin, p. 472.
  4. « Au printemps de 1665, vint à Rome un sien neveu, amené, autant qu’il le laissa paraître, par le désir avide d’être l’héritier de ce que son oncle avait acquis, et qui se conduisit de taçon si indiscrète et impertinente que celui-ci, n’en recevant que peu de satisfaction, le renvoya aux Andelys en septembre de la même année » (Passeri, Le Vite de’ pittori, 1772).
  5. Dans ce même mois [sept. 1665] lui survindrent quelques attaques de fièvre, causée sans doute par l’indiscrétion de ce sien neveu, lesquelles, le travaillant beaucoup, lui suscitèrent un flux d’urine fréquente et sanguinolente qui lui dura l’espace de vingt jours. Le sang s’arrêta, mais ce fut pour faire place à un perpétuel relâchement des reins, de sorte qu’il urinait continuellement sans rétention, et cela dura nombre de
  6. Dans le ms. 12347 manque une lettre de Jean Dughet, du 27 octobre 1665 : « Après que M. de Chantelou eût appris par une Lettre du Sieur Jean du Ghet (du 27 octobre 1665), l’extrémité où il étoit, on eût bientôt la nouvelle de sa mort arrivée le 19 novembre 1665 » (Félibien, p. 50). — La perte de cette lettre est d’autant plus regrettable qu’elle devait renseigner sur les derniers mois de Poussin (voir son acte mortuaire dans Archives de l’Art français, t. I, p. 142).