Correspondance de M. le marquis Du Chilleau, gouverneur-général de St.-Domingue, avec M. le comte de La Luzerne, ministre de la marine, et M. de Marbois, intendant de Saint-Domingue/08

Copie de la Lettre de M.  le Marquis du Chilleau à Monſeigneur le Comte de la Luzerne, en date du 29 Mai 1789. No. 79.


Monseigneur,

Tant que M.  de Marbois s’est borné à contrarier mes vues d’utilité, je ne vous ai point porté contre lui de plaintes graves, mais je vous le dénonce aujourd’hui comme paraissant avoir formé le projet le plus formel d’une insubordination publique. J’ai eu l’honneur de vous rendre compte, par ma Dépêche, No. 36, des motifs qui m’avaient déterminé à promulguer une Ordonnance pour l’introduction des farines étrangères ; l’expérience en a démontré l’utilité ; sans cette mesure la Colonie eût manqué totalement de farine pendant dix ou douze jours, et il est notoire que la petite quantité qui en a été importée jusqu’à présent par les étrangers, le peu que l’on doit en espérer de France avant le mois de Décembre, nécessitent la prorogation de cette même Ordonnance du 31 Mars. Il n’est pas moins certain qu’il y a très-peu de numéraire à Saint-Domingue, et que si on continuait à payer en argent la farine nécessaire des étrangers, ce peu de numéraire existant serait enlevé. Cette alternative de manquer de vivres ou d’argent m’a paru trop fâcheuse pour ne pas employer le seul moyen qui puisse y remédier. En conséquence j’ai permis le paiement de la farine étrangère, en denrées Coloniales, avec les précautions convenables pour qu’il ne puisse pas en être exporté par les étrangers au-delà de la valeur de leur farine importée. M. de Marbois, conformément à son usage, a été d’un avis contraire au mien ; et sans égard, à ce que ses Ordonnances, nos instructions communes, lui prescrivent de déférer à mon opinion lorsque nous pensons différemment, il s’est absolument refusé à signer l’Ordonnance dont j’ai l’honneur de vous addresser quatre exemplaires. Je ne doute pas, Monseigneur, que cette répétition d’insurrection de la part de M.  l’Intendant ne vous paraisse très-condamnable, et je vous demande avec instance de prononcer le plutôt possible son rappel, ou le mien. J’insiste avec force sur le mien, si j’éprouve le malheur qu’une seule de mes opérations soit désapprouvée par le Roi et par vous, parce que je ne pourrais plus servir à Saint-Domingue avec utilité.

Je joins ici, Monseigneur, copie de ma première Lettre à M.  de Marbois sur la question dont il s’agit ; elle est cottée A.

Celle de ses observations avec la Lettre qui les accompagnait, cottée B.

Je lui fis la réponse, cottée C.

J’en reçus celle D.

Et enfin je lui écrivis celle E.

En vous les transmettant mon intention est de vous mettre à même de nous juger, M.  l’Intendant et moi.

Je suis, etc.