Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 025

Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 56-58).

25.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 25 mars 1766.

Mon cher et illustre ami, nous avons donné le prix à une pièce qui a pour devise : Multum adhuc restat operis. J’en soupçonne l’auteur ; je crois qu’il est de votre connaissance, et en ce cas je vous prie de l’en informer. L’Ouvrage est admirable et fait grand honneur à son père, quel qu’il soit. J’y ai trouvé beaucoup à m’instruire, et je voudrais que nous eussions souvent de pareilles pièces. Nous avons proposé, pour le sujet du prix de 1768[1], de perfectionner les méthodes sur lesquelles est fondée la théorie de la Lune, de fixer par ce moyen les équations de cette planète qui sont les plus incertaines, et d’examiner en particulier si l’on peut rendre raison par cette théorie de l’équation séculaire du moyen mouvement de la Lune. Voilà, ce me semble, un sujet bien digne de vous exercer. Les équations dont je voudrais qu’on fixât la valeur sont surtout celles qui ont pour argument et qui deviennent assez grandes par l’intégration ; la dernière surtout a été un sujet de dispute entre Clairaut et moi, et je crois qu’il avait tort.

Comme je ne veux pas me fatiguer, je ne travaille qu’à bâtons rompus, mais j’ai bien des choses, ou plutôt des rogatons, sur le métier. Je n’ai pas encore eu le temps d’examiner le chevalier d’Arcy mais, à vue de pays, il ne sait ce qu’il dit, ni quand il résout le problème à sa manière, ni quand il réfute Simpson. Je soupçonne, de plus, que la solution de Simpson ne vaut pas grand’chose, mais par un tout autre côté que celui que le chevalier d’Arcy attaque.

Je prépare une nouvelle édition de mon Traité des fluides[2]. Il contiendra peu de choses nouvelles ; je ne ferai guère qu’y indiquer ce qui a été fait depuis sur cette matière par moi-même ou par d’autres, parce que je n’aime pas à faire acheter de nouveau les mêmes choses au public.

Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur ; conservez-vous longtemps, pour vous, pour moi et pour la Géométrie. Je viens d’écrire à Berlin pour ce que vous savez[3], et j’attends la réponse. La personne à laquelle vous-vous intéressez ne sera point compromise, en cas de refus, car je ne l’ai engagée à rien. J’ai seulement demandé la permission de lui écrire, mais je crois avoir inspiré une grande envie de l’avoir.


  1. On lit dans la Table des Mémoires de l’Académie (1761-1770), art. Prix, p. 513 : « L’Académie, qui avait proposé, pour le sujet du prix de 1768, de perfectionner les méthodes sur lesquelles est fondée la théorie de la Lune, de fixer par ce moyen celles des équations de cette planète qui sont encore incertaines, et d’examiner en particulier si l’on peut rendre raison par cette théorie de l’équation séculaire du mouvement de la Lune, n’ayant pas été satisfaite des recherches qu’elle a reçues sur ce sujet, l’a proposé de nouveau pour l’année 1770, avec un prix double. »
  2. Le Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides avait été publié en 1744, in-4o. La seconde édition parut en 1770, in-4o.
  3. Il s’agissait, comme on le voit par la Lettre précédente, de faire obtenir à Lagrange la place que laissait vacante à l’Académie de Berlin le départ d’Euler pour Saint-Pétersbourg, où il avait séjourné de 1733 à 1741 et où il retournait, rappelé par Catherine II. La Lettre de d’Alembert à Frédéric II ne figure pas dans la correspondance de ce prince.