Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 021

Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 48-49).

21.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Turin, ce 1er janvier 1766.

Mon cher et illustre ami, votre dernière Lettre m’a jeté dans de grandes inquiétudes en m’apprenant le mauvais état de votre santé j’ai cru devoir m’abstenir de vous écrire pendant quelque temps pour ne pas troubler votre repos ; mais, enfin, l’impatience où je suis de savoir de vos nouvelles m’oblige à rompre le silence.

Je vous remercie de l’accueil obligeant que vous avez fait à M. Dutens. Vous trouverez en lui, si l’occasion vous vient de le pratiquer davantage, l’homme du monde le plus honnête et le plus cordial. J’ai vu M. Desmarets, qui m’a apporté une de vos Lettres[1], et j’ai été très-charmé de le connaître ; il n’a fait que passer, mais il m’a donné l’espérance de le revoir à son retour d’Italie. Vous avez eu raison de vous fâcher contre les journalistes qui ont eu l’impertinence d’attribuer votre maladie au refus de la pension. Les sacrifices éclatants que vous avez faits doivent sans doute vous mettre à couvert de pareilles imputations. Il est vrai qu’on dit que le P. de Joyeuse[2], après avoir renoncé à la dignité de maréchal, mourut de chagrin pour ne pas avoir été fait provincial de son ordre ; mais il y a bien loin d’un capucin à un philosophe.

L’impression de notre Volume avance fort lentement, de sorte que, si votre Mémoire n’est point encore prêt et que vous n’ayez point changé de dessein, vous pouvez prendre encore deux mois de temps pour nous l’envoyer. Je suis charmé que vous ayez vu ma pièce sur les satellites ; si elle peut mériter votre approbation, je serai suffisamment récompensé de mon travail.

Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous conjure de me donner de vos nouvelles le plus tôt que vous pourrez. Je ne vous dis rien de ma santé ; elle est parfaite, et je voudrais bien pouvoir vous la communiquer.

Avez-vous vu le troisième Volume de la Mécanique d’Euler ? Il y a beaucoup de verbiage, mais il contient d’excellentes choses.

Je sais que vous avez déménagé, mais j’ignore votre nouvelle demeure en attendant que vous me l’appreniez, j’adresse toujours ma Lettre comme à l’ordinaire.

Je vous embrasse de tout mon cœur et vous serai attaché toute ma vie.


  1. Voir plus haut, p. 41, Lettre 16.
  2. Henri, comte du Bouchage, duc de Joyeuse, né en 1567, mort à Rivoli (Piémont) le 27 septembre 1608. Il suivit d’abord la carrière des armes, se fit capucin après la mort de sa femme (1587), reprit les armes à la mort de son frère, grand prieur de Toulouse (1592), fut créé maréchal de France par Henri IV et rentra aux capucins de Paris en 1599.