Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 017

Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 42-43).

17.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Turin, ce 6 juillet 1765.

Mon cher et illustre ami, je n’ai pu apprendre l’injustice qu’on vous fait essuyer sans en être vivement indigné ; mais je vous avouerai franchement que je n’en ai pas été bien surpris et je crois que vous-même n’avez pas dû l’être non plus. Vous n’avez jamais sacrifié aux idoles voilà, si je ne me trompe, votre crime. Le silence qu’on s’obstine à garder sur votre article me paraît n’avoir d’autre but que de vous engager à quelque espèce d’humiliation. Je suis impatient de voir quelle issue aura cette affaire, car, d’un côté, je vous crois incapable de démentir votre caractère un seul moment, et, de l’autre, je ne vois pas trop de quel front on oserait commettre à la face de toute l’Europe une injustice si criante et si absurde.

J’ai été enchanté de la Destruction des Jésuites. Les fanatiques d’ici l’ont déchirée comme de raison ; mais le petit nombre de ceux qui pensent l’a regardée comme l’un des meilleurs Ouvrages qui soient sortis de votre plume. J’ai reçu le Traité sur le Calcul intégral de M. de Condorcet, et je l’ai trouvé bien digne des éloges dont vous l’avez honoré dans votre Rapport à l’Académie[1] ; je voudrais seulement qu’il eût expliqué plus en détail la manière dont il parvient à trouver les différentes formes d’intégrales dont une équation différentielle est susceptible. Par exemple, on sait que l’intégrale de l’équation

est de la forme de

laquelle n’est point comprise, ce me semble, dans celles de la page 56

du Traité de M. de Condorcet.

Notre Volume est sous presse depuis environ trois mois ; mais, quand même toutes les pièces qui y doivent entrer seraient prêtes (ce qui n’est pas), il ne pourrait paraître que vers la fin de cette année ou au commencement de celle qui vient ; ainsi votre Mémoire arrivera assez à temps si nous le recevons dans le courant de cette année-ci.

Je suis charmé que vous ayez fait de belles découvertes dans la théorie des lunettes et surtout dans celle de la Lune. J’ai aussi trouvé des choses assez singulières par rapport à l’équation du centre et au mouvement des nœuds d’une planète qui est attirée par plusieurs autres. Vous les verrez dans la pièce sur les satellites de Jupiter que je compte envoyer bientôt à l’Académie[2], et dont vous serez certainement l’un des juges. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur et je me recommande à votre souvenir.

À Monsieur d’Alembert,
de l’Académie française, de celle des Sciences, etc., etc.,
rue Michel-le-Comte, Paris
.

  1. Voir plus haut, p. 40, note 3.
  2. C’est le Mémoire qui concourut pour le prix que l’Académie avait proposé et qui l’obtint. (Voir plus haut, p. 16, note 1, et plus loin, p. 58.)