Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1990

Louis Conard (Volume 9p. 32-33).

1990. À SA NIÈCE CAROLINE.
Dimanche, 2 mai 1880.

Ah ! mon pauvre chat, « la Carrière des Arts » est pleine de déceptions ! On t’a mal placée au Salon, et Bergerat continue à me placer encore plus mal dans sa feuille de chou ! Dans le numéro de ce matin, il arrête net une scène pour un article sur le sport ! Voilà comme on est toujours traité ; le contraire est l’exception, et ces messieurs-là ont la gueule enfarinée de grands mots !

Malgré mon stoïcisme, je trouve que tu aurais tort de t’en tenir là. Est-ce que, par l’illustre Heredia, Burty ou mon disciple, il n’y aurait pas moyen de changer de place ? Comment n’es-tu pas morte de ta journée de vendredi ? Et Mme *** qui veut venir au vernissage ! Pourquoi ? Il est vrai que je ne comprends plus rien aux contemporains. Paris me dégoûte par sa démence. C’est dans huit jours que j’y serai ; eh bien ! je ne m’en réjouis pas ! Au contraire ! et je crois que mon plus grand plaisir sera de bécoter à l’arrivée mon Caro.

Il est maintenant 9 heures. Monsieur est levé depuis 7 heures ⅓. Monsieur ne dort plus. Je voudrais samedi prochain être arrivé au bord de l’avant-dernière scène. Or, je n’ai pas une minute à perdre. Ce soir, pourtant, dîner chez Pennetier.

Guy m’a envoyé mon renseignement botanique : j’avais raison ! Enfoncé M. Baudry ! Je tiens mon renseignement du professeur de botanique du Jardin des Plantes ; et j’avais raison parce que l’esthétique est le Vrai, et qu’à un certain degré intellectuel (quand on a de la méthode) on ne se trompe pas. La réalité ne se plie point à l’idéal, mais le confirme. Il m’a fallu, pour Bouvard et Pécuchet, trois voyages en des régions diverses avant de trouver leur cadre, le milieu idoine à l’action. Ah ! ah ! je triomphe ! Ça, c’est un succès ! et qui me flatte…

Avant de procéder (sous-entendu à ma toilette), je vais prévenir Charpentier que la semaine prochaine je lui demanderai des comptes, et par la même occasion, lui adresser quelques paroles bien senties sur sa jolie revue. Bergerat aura son paquet chez moi, devant une nombreuse.

Adieu, pauvre chat ; j’attends une lettre de toi au milieu de la semaine, puis je t’enverrai un mot pour te dire mon arrivée. Je n’ai plus de recommandations à faire pour le désencombrement du logis, je crois ?

As-tu vuidé le bas de la bibliothèque ?

Je te baise à pincettes.

Vieux.