Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1975

Louis Conard (Volume 9p. 15-17).

1975. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset, 27 mars 1880].

J’attends au milieu de la semaine prochaine une lettre de toi, me disant le jour et l’heure de ton arrivée, car jamais, je crois, je n’ai eu envie de te voir comme à présent. Nous allons passer ensemble quelques bons jours.

Tu ne me dis pas si tu as reçu, depuis le télégramme d’Ernest, une lettre de lui. Ci-inclus le fragment recopié d’une épître du Moscove. Envoie-le à ton mari, ça lui fera plaisir.

[…] Mon disciple, qui m’est arrivé tantôt, me dit que tu as oublié les jurés du gouvernement, à la tête desquels est d’Osmoy. Il en connaît plusieurs et te recommandera. Demain, je verrai si mes convives en connaissent.

Je peux écrire moi-même à Paul Baudry ; mais comment lui désigner ton œuvre ? Ton ami Heredia est très intime avec Jules Breton qu’il m’a amené un jour en visite. Quant à Jules Lefebvre et aux autres, adresse-toi à Popelin, qui ne demandera pas mieux que de t’obliger ; ou, ce qui est plus simple, va (sous prétexte de lui demander ses commissions pour moi) chez la bonne princesse et dis-lui qu’elle te donne un coup d’épaule. Son mouvement oratoire dans ton atelier rentre dans ses habitudes… Il ne faut pas plus faire attention à ce qu’elle dit qu’au propos d’un enfant de six ans. Je m’étonne seulement qu’elle n’ait pas traité le P. Didon de mouchard et de voleur…, qualifications qui lui sont usuelles. Je l’aie vue déchirer des gens qu’elle recevait ensuite parfaitement bien. Tous les Bonaparte sont ainsi ; ils ont des accès de lyrisme, sans cause !

Hier, bonne visite de Sabatier que j’ai trouvé très intelligent, charmant. Nous n’avons causé que de choses élevées… Croirais-tu que, depuis huit jours, je n’ai pu faire comprendre, même à G. Pouchet, ce que je désire comme botanique ! F. Baudry, j’en suis sûr d’avance, m’enverra ce qu’il me faut. Ainsi, pour un passage de six lignes, j’ai lu trois volumes, conféré pendant deux heures, et écrit trois lettres ! Vraiment ! quelles drôles de cervelles que celles des savants, pour ne pas distinguer une idée accessoire d’une idée principale !!! Tout cela, faute d’habitude littéraire et philosophique. J’en suis stupéfait ! Je t’assure que ce cas est drôle ; je te l’expliquerai. Le bon Sabatier viendra déjeuner jeudi.

Mais parlons de ma réception de demain qui sera gigantesque ! Tous mes confrères acceptent ! Non seulement ils dîneront, mais ils coucheront ; et leur joie de cette petite vacance est telle que les femmes en sont scandalisées. J’ai aussi invité Fortin « à qui je dois bien ça », selon Mamzelle Julie.

J’ai pris, pour aider Suzanne, Clémence, et le père Alphonse pour servir. Le repas, j’espère, sera bon. « La plus franche cordialité ne cessera de régner… »

Tous ces jours-ci, j’ai eu mal à l’œil gauche. Je me bassine à l’eau très chaude, ce qui me fait du bien.

Fortin, à ma prière, a tantôt, pendant plus d’une heure, examiné mon disciple. On m’avait dit sur sa maladie tant de bêtises et d’incompatibilités que ça me tourmentait. (Je ne sais pas son opinion.) Ce qu’il y a de sûr, c’est que Guy souffre beaucoup. Il s’est couché ce soir dès 9 heures. Il a probablement la même névrose que sa mère…

À propos de névrose, voilà deux fois que j’oublie de te dire que Potain (le médecin de Guy) a guéri Mme Lapierre de ses migraines. Celle-ci m’avait chargé de te l’apprendre, et Pouchet idem, dimanche dernier, en t’engageant fortement à aller chez lui.

Adieu, pauvre fille ; deux bécots retentissants de

Ta Nounou.