Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1938

Louis Conard (Volume 8p. 359-361).

1938. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mardi, 2 heures [27 janvier 1880].
Mon Loulou,

Mon indignation n’a pas de bornes ! et j’ai envie de t’accabler d’injures !

Si la première du Nabab est pour jeudi prochain, comment veux-tu maintenant avoir des places ? La répétition générale commencera demain, à 1 heure. Le service sera déjà fait s’il ne l’est. J’aime à croire que la première n’aura lieu que samedi. Alors tu auras la chance d’avoir des places.

Tu as vu par toi-même, quand je montais les premières de Bouilhet, que l’auteur d’une pièce manque toujours de places, bien qu’il en achète de sa poche ! et que, la veille d’une première, tout le monde perd la boule ; on ne lit même plus les lettres.

Crois-tu que Daudet va avoir le temps de te répondre et de s’occuper de toi ? Sans compter que les billets de spectacle mis sous enveloppe et envoyés par la poste sont presque toujours volés.

N. B. — Ne jamais, en ces cas-là, se servir de la poste.

Bref, si tu veux assister à la première du Nabab, il faut aller toi-même ou envoyer un commissionnaire intelligent chez Daudet, et qu’il attende la réponse. Si Daudet ne t’en donne pas, re-envoie le commissionnaire chez Deslandes[1], et qu’il attende indéfiniment.

Mais en y allant toi-même, tu as plus de chances de réussir. Tu vas trouver que c’est trop compliqué. Tu mettras à la poste des lettres qui ne seront même pas décachetées, et tu n’auras pas de places et tu te plaindras du sort !

Mon loulou n’est guère pratique ! Que n’as-tu écrit quelques jours d’avance à Mme Daudet : c’était là le bon moyen.

Si j’étais de toi, je m’informerais de l’heure où finira la répétition générale et, munie des deux épîtres ci-incluses, j’irais moi-même au Vaudeville, en altière Vasti, pour parler à ces messieurs.

Quant à la Vie Moderne, réclame-la, impudemment.

Bergerat n’a pas compris. Au lieu d’envoyer les numéros à Paris, comme il faisait auparavant, il les envoie à Croisset.

À la fin de sa préface, il y a un mot très aimable pour Mme Commanville.

Bonne chance pour la première. Quant à moi, je suis content de n’y pas assister. Ces solennités-là sont hideuses ! On y voit trop crûment le plus vilain des sept péchés capitaux : l’Envie.

L’Ours des Cavernes,

Et pour toi
Nounou.

  1. Directeur du Vaudeville.