Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1915

Louis Conard (Volume 8p. 330-332).

1915. À SA NIÈCE CAROLINE.
Nuit de samedi, 1 heure [6-7 décembre 1879.]

Il faut que je t’embrasse bien fort, ma chère fille, pour te remercier de ta bonne lettre d’hier. Continue à m’en envoyer de pareilles. Tu sais que Vieux a besoin d’être aimé et caressé, et son cœur n’a pas trop de pâture maintenant.

Tant que je travaille, ça va bien, mais les moments de repos, les entr’actes de la littérature ne sont pas tous les jours folâtres. Enfin je vois le terme de mon chapitre. Dans une quinzaine de jours, j’espère n’avoir plus que dix pages.

Quel temps ! quelle neige ! quelle solitude ! quel silence ! quel froid ! Suzanne a fait un paletot à Julio avec un de mes vieux pantalons. Il ne démarre pas du coin du feu. J’attends vendredi le Moscove. Viendra-t-il ?

Charpentier m’a envoyé 700 francs et me doit faire encore un autre envoi prochainement.

[Comme je voudrais que l’affaire M*** fût en train ! et qu’on eût payé F***. C’est un poids que j’ai sur l’estomac. Quand en serai-je délivré ? Je continue très souvent à penser à mon ex-ami Laporte. Voilà une histoire que je n’ai pas avalée facilement[1].]

Si Bonnat est dur pour toi, c’est qu’il te considère beaucoup. Tant mieux ! Il te traite en confrère.

Comment peux-tu savoir ce qui se dit chez la bonne Princesse ? Voilà un mois que je lui dois une lettre. Mais je suis débordé. Je passerai ma journée demain rien qu’à écrire des lettres, dont cinq sur des livres qu’on m’a envoyés ! Tous ces hommages me deviennent une peste. J’ai tant de choses à lire ! et tant d’autres lignes à tracer !

Garde les livres et revues à mon adresse. C’est autant d’épargné.

Dis à Gertrude[2] que je suis bien fâché de ne pas la voir. Repassera-t-elle par Paris au printemps ?

Il est temps d’aller se coucher.

Je t’embrasse bien fort.

Nounou.

Pas de Furet[3].

Personne sur le quai. Le facteur arrive à des heures fantastiques.

J’aime à croire que Putzel va mieux.

Et l’oxygène ?

Houzeau m’abandonne.

Naturellement.


  1. Tout le paragraphe entre crochets, publié par la Revue de Paris du 1er  décembre a disparu dans les éditions postérieures. Mme Commanville y ajoutait cette note : « Des difficultés étaient survenues entre M. Laporte et mon mari à propos d’affaires. M. Laporte craignait qu’on ne le forçât à payer des billets qu’il avait garantis. Ce fut la cause, entre mon oncle et lui, d’un refroidissement qui finit par une rupture. » Voir note p. 305.
  2. Gertrude Collier (Madame Tennant).
  3. Le Bateau de Rouen à La Bouille.