Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1887

Louis Conard (Volume 8p. 298-299).

1887. À M. BOURLET DE LA VALLÉE.
Croisset, lundi 22 septembre 1879.
Mon vieux Pit-Chef[1],

Je ne te rendrai pas le service que tu me demandes, parce que je ferais : 1o  une mauvaise action ; 2o  une action parfaitement inutile. J’ai été étonné de l’intelligence et de la grande lecture de ton ami, ou plutôt de notre ami, Henri Fauvel. Les essais qu’il m’a montrés me paraissent extrêmement remarquables. Enfin, j’ai reconnu tous les signes d’une vocation littéraire bien prononcée.

Je l’ai néanmoins, et à deux reprises différentes, fortement engagé à poursuivre ses études médicales. Je le croyais même embarqué depuis six mois à bord d’un bâtiment de l’État. Il m’a même envoyé ses adieux.

Tout ce qu’on pourra dire ou faire ne servira absolument à rien qu’à le chagriner et à le blesser.

Quant à réussir, quant à avoir le succès, c’est là le secret du bon Dieu ; et, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est né écrivain et qu’il écrira.

Comment veux-tu qu’après lui avoir donné des encouragements, je revienne sur ce que j’ai dit et qu’en définitive je parle contre ma pensée ? Cela m’est impossible, tu dois le comprendre.

Sur ce, mon vieux Pit-Chef, je t’embrasse tendrement.

Ton.


  1. « Pit-Chef » était le surnom donné par Flaubert à Bourlet de la Vallée, au lycée de Rouen.