Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1867

Louis Conard (Volume 8p. 282-284).

1867. À MADAME ROGER DES GENETTES.
Croisset, 15 juillet 1879.

Je ne sais pourquoi, mais il me semble que vous êtes plus mal, ma chère amie ! Est-ce vrai ? Dites-moi que non. Cet affreux été n’est bon ni pour les légumes, ni pour les poires, ni pour les gens ! Moi, il commence à m’agacer le système. On ne se doute pas ordinairement combien le soleil nous est indispensable. Quelle drôle d’idée ont eue nos ancêtres en venant vivre sous des cieux aussi incléments ! Pourquoi habiter des pays bêtes ? Afin d’avoir plus d’esprit, sans doute.

En ce moment, je fais travailler le mien d’une façon acharnée. J’ai repoussé tous les livres et j’écris, c’est-à-dire je barbote dans l’encre sans discontinuer. Me voilà à la partie la plus rude (et qui peut être la plus haute) de mon infernal bouquin, c’est-à-dire à la métaphysique ! Faire rire avec la théorie des idées innées ! Voyez-vous le programme ? Enfin, j’espère au commencement de septembre n’avoir plus que deux chapitres ! Mais je suis encore loin de la terminaison totale. Alors je pousserai un beau ouf de satisfaction, je vous en réponds. Il faut être fou pour avoir entrepris une pareille tâche. Mais nous ne ferions rien, dans ce monde, si nous n’étions guidés par des idées fausses. C’est une remarque de Fontenelle, que je ne trouve point sotte.

La mort du Prince impérial, qui m’a frappé comme une image d’Épinal, tant elle est violente et sauvagesque, commence à devenir une scie ; ne trouvez-vous pas ? J’étais à Paris aux premières loges, quand la nouvelle en est venue, et j’ai contemplé la gigantesque bêtise de Messieurs les bonapartistes. La Princesse a été très affligée et très raisonnable, et le Prince plein de réserve.

Autre scie, la loi Ferry. Ceux qui la défendent et ceux qui l’attaquent m’embêtent également, car des deux côtés on est d’une mauvaise foi insigne. Ce qu’elle a de pire contre elle, c’est qu’elle est inapplicable. Les Jésuites porteront un bonnet rouge, voilà tout. On aura la liberté religieuse quand on aura supprimé du Code Pénal les attaques à la religion. Mais cela est peut-être trop fort pour les têtes françaises.

J’ai lâché Catulle Mendès, et Reyer prend pour librettiste Du Locle. Mais avant la première de Salammbô, grand opéra, etc., il se passera encore bien du temps. Faure et Gallet commencent un opéra sur Faustine. On imprime Salammbô chez Lemerre et l’Éducation sentimentale chez Charpentier.

Peut-être que le Château des Cœurs paraîtra au jour de l’an, avec des illustrations, puisqu’il m’est impossible de lui donner des décors. Cela est un de mes chagrins littéraires (est-ce un chagrin ?) ne pas voir sur les planches le tableau du « cabaret » et celui du « Pot-au-Feu ! »