Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1848

Louis Conard (Volume 8p. 263-265).

1848. À GEORGES CHARPENTIER.
[Croisset], vendredi soir [mai 1879].
Homme de la Vie Moderne,

Vous saurez sans doute que j’ai passé avant-hier quelques heures à Paris, et pourquoi je me suis traîné jusque-là. Le gonflement de mon articulation ne m’a pas permis d’aller plus loin.

J’avais prié Goncourt de s’entendre avec vous et les amis pour organiser deux trains pour Croisset. Pas de réponse. Mystère.

Dites à Zola que j’ai bourré de coups de crayon aux marges ses dernières élucubrations. Nous en causerons.

Vous me verrez mort ou vif dans les premiers jours de juin. Car j’ai plusieurs propositions à vous faire (sans compter les obscènes). Ainsi l’Éducation sentimentale redeviendra ma propriété le 10 août prochain, etc.

Malgré un hiver abominable (six mois que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi, si j’avais des ennemis ; la patte cassée était une plaisanterie à côté du reste), malgré, dis-je, un état moral des plus rigoureux, je n’ai pas cessé un seul jour de travailler pour

La Maison Charpentier !!!


et je n’ai plus que deux chapitres et demi à faire. Quant au second volume, aux trois quarts fabriqué, je n’ai plus que des attaches à y mettre. Bref, dans un an, nous ne serons pas loin de la terminaison complète et, quand vous connaîtrez l’œuvre, vous verrez que j’ai été rapide.

Mon grand âge ou pour mieux dire ma sénilité m’autorisant à beaucoup de libertés, je prends celle d’embrasser madame Marguerite et son époux, malgré les exemples déplorables qu’il offre à nos bords.

Votre.

Ma lettre est bien mal rédigée et pleine de choses qui m’exaspèrent. Mais je suis trop éreinté pour faire mieux.