Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1798

Louis Conard (Volume 8p. 195-196).

1798. À SA NIÈCE CAROLINE.
Jeudi, 11 heures [30 janvier 1879].
Ma pauvre Fille,

Tu as dû recevoir, hier soir, un télégramme de Philippe. Je vais bien. Le gonflement (il était d’abord énorme, ça ressemblait à un éléphantiasis) disparaît, le sang se résorbe d’une manière rapide. Dans une douzaine de jours je pourrai m’asseoir dans un fauteuil. On me fera une botte d’amidon, dans laquelle ma jambe sera prise. Quant à pouvoir marcher, je n’aurai pas ce plaisir avant six semaines, au plus tôt, et je boiterai peut-être pendant trois ou quatre mois.

Fortin me soigne admirablement bien. Le bon Laporte s’en va de temps à autre pendant vingt-quatre heures, puis revient et ne me quitte pas. Il a fallu, les deux premières nuits, le forcer à se coucher ! Suzanne se montre très dévouée, très gentille. Enfin je suis, de toutes les manières, aussi bien que possible.

Ce qui m’a le plus vexé dans mon accident, c’est le Figaro. Quels imbéciles ! et Lapierre avait eu l’attention de n’en rien dire, sachant mon horreur pour ce genre de réclames ! Oui, Villemessant a cru peut-être m’honorer, me faire plaisir et me servir. Loin de là ! je suis HHHindigné ! Je n’aime pas à ce que le public sache rien de ma personne : « Cache ta vie » (maxime d’Épictête).

Hier j’ai reçu quinze lettres[1], ce matin douze, et il faut y répondre ou y faire répondre. Quelle dépense de timbres !

Mon moral est excellent, meilleur qu’auparavant (sic). Laporte s’étonne de ma patience, de mon caractère angélique. Mais ces choses-là ne révoltent ni mon esprit, ni mes nerfs, ni mon cœur : donc, je n’en souffre pas ! Voilà le vrai. Je me suis fait faire une table, et tu admirerais mes petites inventions.

Comment peins-tu le père Cloquet ? En robe, ou en redingote ?

Je t’attends samedi, mon loulou. Ça me fera bien plaisir de te voir arriver, mais grande peine de te voir partir.

Amitiés à Ernest. Que fait-il ? Voilà qui est plus sérieux que ma guibole cassée.

Ton vieil éclopé et grabataire.

Vieux.


  1. Voir quelques-unes de ces lettres dans Autour de Flaubert, par René Descharmes et René Dumesnil, 2 vol. (Mercure de France éd.)