Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1700

Louis Conard (Volume 8p. 69-70).

1700. À MADAME RÉGNIER.
Paris, 7 septembre 1877.
Ma chère Confrère,

En arrivant de Saint-Gratien, je trouve votre lettre qui m’est renvoyée de Croisset. Nous en causerons tout à l’heure. Et d’abord, merci de m’avoir donné de vos nouvelles et de tout ce que vous me dites d’affectueux pour ma nièce, Elle est maintenant aux Eaux-Bonnes avec son mari. Je lui transmettrai votre commission. Je ne la verrai pas avant un grand mois ; puis, à peine revenu à Croisset, dans cinq ou six jours, j’en repartirai pour la Basse-Normandie.

Quand votre pièce sera-t-elle jouée ? Quelles misères vous a-t-on faites ? Ah ! le théâtre ! Je le connais ! J’en ai assez et n’y retourne plus. À propos, savez-vous que j’ai enfin obtenu pour notre ami Bouilhet une place superbe ? Ce petit monument sera adossé au mur de la nouvelle bibliothèque que l’on construit maintenant, et de cette façon ne pourra être déplacé quoi qu’il advienne.

J’arrive à vous, chère confrère, et vous voyez un homme désolé, c’est-à-dire que je vous refuse carrément tout ce que vous me demandez ; pas la dédicace, bien entendu : au contraire, je vous en remercie. Mais quant à vous écrire une introduction ou une lettre servant de préface, voici mes raisons pour vous répondre non. 1o Je me fâcherais absolument avec beaucoup d’amis, auxquels je n’ai point accordé cette faveur. Cet hiver Renard et Toudouze l’ont en vain implorée. Voilà les premiers noms qui me reviennent, mais la liste de ceux-là est longue. 2o Ces procédés de grand homme, cette manière de recommander un livre au public, ce genre Dumas enfin, m’exaspère, me dégoûte. 3o La chose est parfaitement inutile et ne fait pas vendre un exemplaire de plus, le bon lecteur sachant parfaitement à quoi s’en tenir sur ces actes de complaisance qui, d’avance, déprécient le livre ; car l’éditeur a l’air d’en douter puisqu’il a recours à un étranger pour en faire l’éloge. Charpentier se passera parfaitement de ce vieux truc, soyez-en sûre.

Ai-je mon pardon ? Maintenant que je vous ai traitée en homme, je vous baise les mains comme il sied à la belle dame que vous êtes.

Votre rustique mais dévoué confrère.