Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1603
Quelle chaleur ! Hier, sur le quai, 60 degrés au soleil ! et il ne doit pas faire plus frais aux Eaux-Bonnes. Mais ça fera du bien à Ernest.
Dis-moi dans ta prochaine lettre ce que t’aura dit son médecin. Je demande un peu de détails, s’il y a moyen. Et tâchez de ne pas vous ennuyer là-bas. Car j’imagine, pauvre loulou, que tu as accompli la meilleure partie de ton voyage. Il me reste quatre pages à écrire pour avoir fini mon conte. Je vais en commencer la préparation ce soir. Bref, j’espère vers le 20 l’avoir terminé et recopié. Si vous ne devez revenir ici que dans un mois (entre le 7 et le 10 septembre), je ferais mieux de m’absenter pendant que vous ne serez pas ici. Mon intention serait de ne pas revenir à Paris avant le jour de l’an, afin d’activer Hérodias.
Nouvelles du ménage : j’ai acheté du sucre et des abricots pour avoir de la marmelade d’abricots. Mais les fruits, cette année, sont « hors de prix ». Le jardinier gémit, les arbres meurent de sécheresse.
Mon ardeur à la besogne frise l’aliénation mentale. Avant-hier, j’ai fait une journée de dix-huit heures ! Très souvent maintenant je travaille avant mon déjeuner ; ou plutôt je ne m’arrête plus, car, même en nageant, je roule mes phrases, malgré moi. Faut-il te dire mon opinion ? Je crois que (sans le savoir) j’avais été malade profondément et secrètement depuis la mort de notre pauvre vieille. Si je me trompe, d’où vient cette espèce d’éclaircissement qui s’est fait en moi, depuis quelque temps ? C’est comme si des brouillards se dissipaient. Physiquement, je me sens rajeuni. J’ai lâché la flanelle (comble de l’imprudence !) et actuellement je n’ai même pas de chemise, ayant pris pour modèle les hommes de la Carue[1] !
Espérons que vous me reviendrez tous les deux florissants. Alors on avisera au syndicat et la vie ne sera pas trop mauvaise. J’en ai le pressentiment.
Adieu, pauvre chère fille chérie ; je t’embrasse avec toute ma tendresse.
- ↑ Association de matelots.