Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1489
Je ne comprends goutte à l’entêtement d’Ernest ! Pourquoi se refuse-t-il à subir son traitement, qui n’est pas bien rigoureux ? Tu lui diras une dernière fois, de ma part, qu’il a tort et que je souhaite qu’il ne s’en repente pas plus tard. Maintenant, bonsoir, c’est son affaire. Aurait-il la tête attaquée ? car sa conduite me paraît tenir à la démence !
Tu dois avoir maintenant les Winter. Après eux ce sera Mme Desgenetais, puis Frankline. Donc, mon pauvre chat, il me semble que toutes « les chambres d’ami » seront prises dans ta villa, d’ici à longtemps, si bien que je ne vois pas le moyen de t’y faire une visite sérieuse. Mais je pourrais bien y aller dîner un dimanche. Il faudra que je revienne à Paris vers la fin d’octobre. Ainsi, pas de Caro à la fin du mois d’octobre dans le pauvre Croisset ! Enfin, nous verrons à nous arranger. Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’ai bien envie de bécoter ta chère mine. J’ai vu Mme Brainne : son fils n’est pas aussi mal qu’on te l’avait dit. En effet, la Princesse a été à Arensberg, « ne pouvant faire autrement », mais elle est revenue depuis plusieurs jours. J’ai vu hier, à dîner, chez elle, ton ancien ami le baron Larrey. Il m’a dit que les Cloquet iraient probablement à Dieppe sous très peu de jours. Au mois d’octobre, j’aurai à Croisset la visite de Popelin et de Giraud. Ma journée d’avant-hier a été strictement occupée par l’enterrement de la mère de Coppée ; jamais je n’ai vu une pareille douleur. Le pauvre garçon faisait mal à voir. Je l’ai presque porté pour descendre la grande avenue du cimetière Montmartre. Dès qu’il m’a vu, il s’est presque accroché à moi, bien que nous ne soyons pas intimes. C’est là (à cet enterrement)[1] que j’ai vu pour la première fois l’ancienne passion de la Divine, mon ennemi Barbey D’Aurevilly : il est gigantesque ! Je t’en ferai la description…
Je compte être revenu dans mon humble asile vers le commencement de l’autre semaine. Adieu, pauvre chère fille. Écris-moi de bonnes lettres si tu en as le temps, ou plutôt prends-en le temps et aime toujours
- ↑ Madame Adam raconte à ce propos dans Nos amitiés politiques avant l’abandon de la Revanche, p. 145 : « Le bon géant s’est redressé de toute sa taille et Barbey de toute sa hauteur. On s’est demandé si les deux coqs n’allaient pas se jeter l’un sur l’autre. »