Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1430

Louis Conard (Volume 7p. 111).

1430. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[1873 ?]

Hier, le général est venu me voir ; il conte à merveille, comme sa sœur. Il a aussi de votre regard et je l’en aime davantage. Il m’a conté des histoires très gaillardes : j’ai riposté et nous nous sommes quittés contents l’un de l’autre.

Votre dernière lettre était charmante, mais si triste !… et pourtant vous êtes une vaillante. Comme vous, pauvre amie, je trouve la vie bien lourde. Si au moins elle était tolérable ! Mon ambition maintenant ne va pas plus loin.

Mme X*** est une poseuse, qui croit savoir ce qu’elle ne sait point. C’est toujours un danger pour une femme d’esprit de donner de bons dîners. On la juge sur ses menus, et les affamés la traitent de grand écrivain. Il en faut rabattre : elle a le sentiment de la nature, elle a des paysages réussis, mais de là au style, à l’Art, il y a un abîme. On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire la couleur, le relief et l’harmonie. Vous me parliez l’autre jour du Banquet des Mercenaires. Je peux me vanter de l’avoir pioché ce chapitre-là, mais aussi vous avez eu un cri de satisfaction que j’entends encore. Ah ! ce logement du boulevard du Temple, il a connu de grands régals littéraires !