Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1410
Quoi qu’il advienne, le catholicisme en recevra un terrible coup et, si j’étais dévot, je passerais mon temps à répéter devant un crucifix : « Gardez-nous la République, ô mon Dieu ! »
Mais on a peur de la monarchie. À cause d’elle-même et à cause de la réaction qui s’ensuivrait. L’opinion publique est absolument contre elle. Les rapports de MM. les Préfets sont inquiétants ; l’armée est divisée en bonapartistes et en républicains ; le haut commerce de Paris s’est prononcé contre Henri V. Voilà les renseignements que je rapporte de Paris, où j’ai passé dix jours. Bref, chère maître, je crois maintenant qu’ils seront enfoncés. Amen !
Je vous conseille de lire la brochure de Cathelineau et celle de Ségur. C’est curieux ! On voit le fond nettement. Ces gens-là se croient au XIIe siècle.
Quant à Cruchard, Carvalho lui a demandé des changements qu’il a refusés. (Vous savez que Cruchard, quelquefois, n’est pas commode !) Ledit Carvalho a fini par reconnaître qu’il était impossible de rien changer au Sexe faible sans dénaturer l’idée même de la pièce. Mais il demande à jouer d’abord le Candidat, qui n’est pas fait et qui l’enthousiasme — naturellement. Puis, quand la chose sera terminée, revue et corrigée, il n’en voudra peut-être plus ! Bref, après l’Oncle Sam, si le Candidat est terminé, il le jouera. Sinon, ce sera le Sexe faible.
Au reste, je m’en moque, tant j’ai envie de me mettre à mon roman, qui m’occupera plusieurs années. Et puis, le style théâtral commence à m’agacer. Ces petites phrases courtes, ce pétillement continu m’irrite à la manière de l’eau de Seltz, qui d’abord fait plaisir et qui ne tarde pas à vous sembler de l’eau pourrie. D’ici au mois de janvier, je vais donc dialoguer le mieux possible, après quoi, bonsoir ; je reviens à des choses sérieuses.
Je suis content de vous avoir un peu divertie avec la biographie de Cruchard. Mais je la trouve hybride, et le caractère de Cruchard ne se tient pas. Un homme si fin dans la direction n’a pas autant de préoccupations littéraires. L’archéologie est de trop. Elle appartient à un autre genre d’ecclésiastiques. C’est peut-être une transition qui manque ! Telle est mon humble critique.
On avait dit, dans un courrier de théâtres, que vous étiez à Paris ; j’ai eu une fausse joie, chère bon maître que j’adore et que j’embrasse.