Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1402

Louis Conard (Volume 7p. 63-64).

1402. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Mardi soir [23 septembre 1873].

Comme il y a longtemps que nous n’avons correspondu, Princesse ! J’attendais toujours, pour vous écrire, que je susse l’époque de mon prochain retour à Paris. Carvalho doit m’y appeler, mais je n’entends pas parler de lui, et d’ici à ma visite dans le bon Saint-Gratien (ce qui aura lieu, j’espère, dans une quinzaine), je voudrais bien savoir comment vous allez, ce que vous devenez.

Moi, je n’ai pas perdu mon temps, car j’ai beaucoup travaillé, et depuis, je me suis occupé de mes affaires, qui prennent une assez bonne tournure ; mais cela est peu important.

Je sais que le prince Napoléon est à Paris, et j’ai vu de sa prose imprimée. Qu’en pensez-vous[1] ? Je crois qu’il va trop vite.

Quand la fusion sera coulée, sera-t-on un peu tranquille ? ô mon Dieu !

Comme le temps est doux ! Ici, chez moi, c’est charmant. Il faudra pourtant, Princesse, qu’un jour vous vous décidiez à faire ce voyage, et que vous honoriez ma cabane de votre présence ! Serais-je assez content de vous recevoir ! Je continue à y vivre en philosophe. Quand je me suis un peu promené dans mon jardin, escorté de mon lévrier qui gambade, et que j’ai bien roulé les feuilles mortes sous mes pieds et un tas de souvenirs dans ma vieille cervelle, je secoue la tristesse qui m’envahit et je remonte à mon ouvrage. Voilà.

Ce mois-ci, j’ai lu beaucoup de livres des Révérends Pères Jésuites, lesquels ne sont pas forts, quoi qu’on dise ; et puis j’ai fait le premier acte d’une comédie[2] politique, qu’aucun gouvernement ne laissera jouer.

Mais de cela, je me console d’avance.

À bientôt donc ! et croyez, chère Princesse, que je suis toujours votre vieux fidèle et dévoué.


  1. Profession de foi dans laquelle, après avoir été autorisé à rentrer en France, le prince Napoléon se rallie à la République.
  2. Le Candidat, voir Œuvres de Flaubert, Théâtre, 1 vol.