Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1364

Louis Conard (Volume 7p. 10-11).

1364. À GEORGES SAND.
[Paris] mardi, 11 mars 1873.
Chère Maître

Si je ne suis pas chez vous, la faute est au grand Tourgueneff. Je me disposais à partir pour Nohant, quand il m’a dit : « Attendez, j’irai avec vous au commencement d’avril ». Il y a de cela quinze jours. Je le verrai demain chez Mme Viardot et je le prierai d’avancer l’époque, car ça commence à m’impatienter. J’éprouve le besoin de vous voir, de vous embrasser, et de causer avec vous. Voilà le vrai.

Je commence à me re-sentir d’aplomb. Qu’ai-je eu depuis quatre mois ? Quel trouble se passait dans les profondeurs de mon individu ? Je l’ignore. Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’ai été très malade, vaguement. Mais, à présent je vais mieux. Depuis le 1er  janvier dernier, Madame Bovary et Salammbô m’appartiennent et je pourrais les vendre. Je n’en fais rien, aimant mieux me passer d’argent que de m’exaspérer les nerfs. Tel est votre vieux troubadour !

Je lis toute espèce de livres et je prends des notes pour mon grand bouquin qui va me demander cinq ou six ans, et j’en médite deux ou trois autres. Voilà des rêves pour longtemps ; c’est le principal.

L’Art continue à être « dans le marasme », comme dit M. Prud’homme, et il n’y a plus de place dans ce monde pour les gens de goût. Il faut, comme le rhinocéros, se retirer dans la solitude, en attendant sa crevaison.