Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1360

Louis Conard (Volume 7p. 3-5).

1360. À PHILIPPE LEPARFAIT.
Dimanche soir.
Mon cher Philippe,

Fais-moi le plaisir d’aller chez Caudron et de le prier de me faire l’honneur de répondre à mes lettres.

Il y a trois semaines, je l’ai prévenu que je désirais convoquer la commission du 15 au 20 janvier ; or, nous sommes au 13 et je n’ai aucun avertissement. Il faut s’arranger pour qu’il manque le moins de monde possible ; c’est donc une affaire toute rouennaise. Que Gally, Caudron, Desbois et Dupré se concertent à cet effet. Je demande seulement à être averti trois jours d’avance ; d’ici-là, je reste le bec dans l’eau.

J’ai une consultation écrite du notaire Duplan, qui a pris connaissance de toutes mes paperasses, celles qui me regardent personnellement et celles qui regardent Bouilhet. Mon affaire, à moi, est très simple. À partir du 1er  janvier 73, je rentre dans tous mes droits, sauf pour l’Éducation sentimentale, dont Lévy a encore l’exploitation pour 7 ans. Mais les traités de Bouilhet sont pitoyables ! il n’y a rien à faire pour Melaenis ! et ses droits sur Festons et Astragales sont sujets à contestation.

J’ai fait demander par plusieurs personnes le volume de Festons et Astragales ; on a répondu qu’il était épuisé, mais que la maison Lévy allait faire « une édition complète des œuvres de M. Bouilhet » et puis, le soir même, j’ai reçu un mot de Croubat me prévenant officiellement qu’on allait faire une édition bon marché de l’Éducation sentimentale.

Mystère ! problème !

Trois journaux ont annoncé la prochaine apparition de Saint Antoine ! — Qu’est-ce que cela veut dire ? En tout cas, Lévy va être payé par moi, cette semaine. Tu seras quitte envers lui. Après quoi, nous verrons.

Peut-être, comme il s’agit, avant tout, d’avoir une édition complète de Bouilhet, vaudrait-il mieux caller, car Lévy ne cèdera jamais Melaenis, etc.

Quant à moi, je suis si dégoûté de toute publication que j’ai remercié Lachaud et Charpentier. Je pourrais maintenant vendre Bovary et Salammbô, mais le vomissement que me donnent de semblables pourparlers est trop fort ! Je ne désire qu’une chose, à savoir : crever. L’énergie me manque pour me casser la gueule. Voilà le secret de mon existence. Je suis si indigné de tout que j’en ai parfois des battements de cœur à étouffer. Que les Dieux te préservent d’en arriver jamais là !

J’ai vu, à la 1re de Leconte Delisle, le sieur Lévy et je lui ai envoyé un regard qui n’était pas chargé d’amour, je t’en réponds.

Ton père a maintenant une espèce de calotte de velours vert qui le fait ressembler, tout à la fois, au Dante et au Malade imaginaire.

Je t’embrasse, ton vieux

fortement grippé.

En nous convoquant pour un dimanche (soit dimanche prochain, soit l’autre dimanche), d’Osmoy et R. Duval pourraient venir. Mais cela contrariera peut-être ces Mousieurs de Rouen, à cause de la chasse ?!! On n’a que ce jour-là dans la semaine, sacré nom de Dieu !!

Si tu veux avoir l’air d’un homme chic (et faire plus tard un beau mariage), je te préviens qu’il faut porter le deuil de Badinguet !… C’est bon genre !