Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1350

Louis Conard (Volume 6p. 446-447).

1350. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Jeudi [novembre 1872].

Cette histoire du prince Napoléon[1] m’a bien contrarié pour vous, de toutes les façons. J’ai toujours peur qu’il n’en rejaillisse quelque chose sur votre tranquillité et qu’on ne vous inquiète. Rassurez-moi à cet égard.

Je ne comprends pas le sens d’une pareille mesure envers le prince. Elle est odieuse de bêtise !

Quant à sa protestation, qui est fort juste au fond, j’en blâme le dernier paragraphe et ce salut qu’il adresse au suffrage universel. Tel est mon humble sentiment là-dessus.

Si vous restez à Saint-Gratien quelque temps encore, j’irai peut-être vous y faire une visite. Car j’ai rendez-vous avec la Direction de la Gaîté, au commencement du mois prochain, pour lui lire l’éternelle Féerie[2], dont je me moque, étant pour le quart d’heure dans un tout autre courant d’idées.

Comme je comprends bien tout ce que vous dites sur la rue de Courcelles ! Je ne passe jamais par là sans que mon cœur ne soit remué, et vous avez raison.

Il ne faut rien oublier, ni bienfait ni offense. Cette égalité entre le bien et le mal, le beau et le laid, cette douceur niaise, ce bénissage universel est une des pestes de notre époque. La haine est une vertu.

J’espère que nos blessés sont tout à fait rétablis.

Je vous baise les deux mains, Princesse, et suis, vous le savez, votre vieux dévoué.


  1. Le prince Joseph Napoléon, dit Jérôme Bonaparte, frère de la Princesse Mathilde. En raison de son inlassable activité politique, cependant libérale, il était suspect au gouvernement de la République et fut frappé d’expulsion.
  2. Le Château des cœurs ; voir Œuvres de Flaubert, Théâtre, 1 vol.