Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1292

Louis Conard (Volume 6p. 371-372).

1292. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, lundi soir [29 avril 1872].
Chère Caro,

Je regrette la lettre de quatre pages que tu as déchirée, parce que c’était une longue lettre, et puis qu’elle n’était peut-être pas aussi « stupide » que tu le prétends. Je ne veux pas t’embêter avec mes demandes d’épîtres, sachant par moi-même combien il est assommant d’écrire des lettres quand on n’en a pas envie. Mais tu me feras pourtant bien plaisir de barbouiller à mon adresse beaucoup de papier lorsque le cœur t’en dira.

J’ai lu et préparé du Saint Antoine. Demain, définitivement, je me mets aux phrases. Maintenant je suis calme, ce qui est beaucoup.

Jeudi, j’ai eu la visite de Mme Heuzey et de Mme Crépet. Ces bonnes dames voulaient m’emmener dîner à Rouen. Il n’était que 3 heures de l’après-midi. Or la perspective de leur compagnie jusqu’à 10 heures du soir m’a un peu effrayé et je suis resté dans ma solitude. N’importe ! Les repas ne sont pas drôles !

Hier j’ai eu la visite de Raoul-Duval et de Laporte (du grand-couronne) qui m’a appris la mort de la fille de mon pauvre Duplan ! Encore une mort !… Le soir, j’ai été dîner chez Lapierre. J’aurai la visite de ces dames au milieu de la semaine.

Le peintre aura fini demain sa besogne et le colleur de papier viendra jeudi. Émile a tantôt rapporté de Rouen tes deux coupes en marbre.

Adieu, pauvre fille. Bon courage !

Je t’embrasse bien tendrement.

Ton vieux.

Tu n’imagines pas comme ton Croisset est calme et beau ! Il y a une douceur infinie dans tout et comme un grand apaisement qui sort du silence. Le souvenir de « ma pauvre vieille » ne me quitte pas et flotte autour de moi comme une vapeur et m’enveloppe.