Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1280

Louis Conard (Volume 6p. 360-361).

1280. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset] Jeudi, 2 heures. [28 mars 1872.]

Ce que j’avais prévu se réalise : l’été ne sera pas gai ! Ta grand’mère, qui avait très bien supporté le voyage et qui avant-hier était de bonne humeur, est retombée plus bas que jamais depuis hier au soir. Elle vient de se donner une espèce d’indigestion et m’a fait grand’peur. C’est la suite de la manie qu’elle a de manger sans cesse pour se fortifier, croit-elle. Il faut maintenant avancer d’une demi-heure chaque repas. On ne sait plus que faire […].

La maison est dans un tel état de délabrement, de saleté, et les histoires de ménage si compliquées, que depuis mon arrivée je n’ai pu rien faire […].

Comme la vie est lourde par moments ! J’en suis gorgé à vomir ! […].

La dame de compagnie n’aura pas de chambre libre avant la fin de la semaine prochaine. Donc vers le 8 elle peut venir.

Toutes ces occupations-là, et surtout le tête-à-tête lamentable de ta grand’mère, me cassent bras et jambes. Je sens que je ne pourrais pas écrire, car j’ai peine à comprendre ce que je lis. Mon rêve est d’aller vivre dans un couvent en Italie, pour ne plus me mêler de rien !

J’ai été vaillant cet hiver, jusqu’à ma brouille avec Lévy. Mais depuis lors, je me sens épuisé jusque dans les moelles. J’attends Philippe, à qui je vais conter des choses désagréables. Dimanche, j’ai rendez-vous avec Deschamps pour l’affaire de la fontaine ! Quand donc me f…-t-on la paix ? Quand n’aurai-je plus à m’occuper des éternels autres ? Je passe tour à tour du rugissement à l’accablement.

Et toi, pauvre chérie, comment vas-tu ? Pense à Vieux et écris-lui souvent.

Je t’embrasse.

Ton ganachon.

Ci-inclus quelques lignes que ta grand’mère a voulu t’écrire hier.