Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1241
Sois calme !
Oui, ils ont un traité pour la reprise de Ruy Blas le 25 janvier.
Après des dialogues inextricables, voici ce qui a été convenu il y a quinze jours entre Chilly et moi (il n’y a plus à y revenir).
On jouera Aïssé quand même ; puis, le 20 janvier on lanternera le vieux père Hugo avec les décors pendant quinze jours ; puis j’irai, moi, faire une démarche près de lui pour obtenir encore quinze jours ou un mois.
Depuis lors, comme la direction croit de plus en plus à Aïssé, elle est en pourparlers pour louer la salle des Italiens, où l’on continuerait Aïssé pendant qu’on jouerait Ruy Blas. Rassure-toi, on ne peut pas d’ailleurs arrêter une pièce tant qu’elle n’est pas descendue à un certain chiffre. Nous avons pour nous la Société des Auteurs dramatiques où Chilly, à propos de la reprise de Ruy Blas, a été secoué par Alexandre Dumas (au mois d’octobre dernier).
Enfin, fous-moi la paix. Je fais tout pour le mieux. Loin de pousser à la première, je voudrais qu’elle n’eût lieu qu’après le jour de l’an !
J’ai manqué étrangler (sic) le souffleur de l’Odéon dimanche, et hier j’ai cru m’évanouir de fatigue à la répétition. J’en pourrai crever, mais ça va ! Ma moyenne de lettres est, par jour, une dizaine.
J’ai passé hier 1 h. ½ aux décors ; ce sera chic !
Je t’embrasse.
C’est à nous (à l’Odéon) que le père Hugo pourrait, peut-être, faire un procès ; mais il n’osera, de peur qu’on ne le traite de corsaire. Il redoute autrement la petite presse qui lui est hostile. Et puis, merde ! Il fallait qu’Aïssé fût jouée maintenant et non au mois d’avril ou de septembre ! Comme on me l’avait proposé.
En résumé
Je te prie de me laisser tranquille. Je prends tes intérêts à cœur, sois-en sûr !
Tu me feras des reproches plus tard, si ça va mal. Fie-toi à moi.
Si Bouilhet avait soigné ses pièces comme je soigne la sienne !!!
Trois lustres dans la salle de bal ! et des rideaux de velours rouges à torsades d’or.