Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1179

Louis Conard (Volume 6p. 240-241).

1179. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Croisset, mardi soir [1871].

Me voilà revenu dans ma solitude, Princesse, et me rappelant, comme les meilleures heures de l’année, celles que j’ai passées chez vous, l’autre semaine. Pauvre cher Saint-Gratien, on l’a donc retrouvé, lui, et celle qui le rend si aimable et si bon !

Est-il au moins délivré des Prussiens, désinfecté de nos vainqueurs ? Voilà l’important. Quel soulagement le jour où vous verrez disparaître le dernier casque !

Tourgueneff, qui m’a fait revenir ici en toute hâte, m’a envoyé le lendemain de mon arrivée un télégramme m’annonçant qu’il était rappelé à Bade tout de suite et qu’il me brûlait la politesse, mais qu’au mois d’octobre il viendrait s’établir à Paris, définitivement. Vous voyez, Princesse, que si beaucoup de gens le fuient (ce Paris maudit et adoré) quelques-uns le recherchent.

Qu’avez-vous résolu à ce sujet ? Vous seriez peut-être un peu seule, cet hiver à la campagne.

J’ai retrouvé ma mère prodigieusement affaiblie. C’est une inquiétude permanente qui me ronge. J’ai du mal à me remettre à la besogne. Ah ! j’ai bien fait d’être gai chez vous ! Je suis si triste, maintenant ! Ma seule distraction consiste à me plonger dans les eaux troubles du fleuve qui coule sous mes fenêtres et je me force pour penser à Saint Antoine.

Mais je n’ai besoin d’aucun effort pour songer à cette Princesse, à qui je baise les deux mains bien dévotement, car je suis

son tout dévoué.

N. B. — Je vous ferai observer que je n’ai pas dit un mot de politique, conduite originale et méritoire.