Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1105

Louis Conard (Volume 6p. 122-123).

1105. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mardi, minuit [28-29 juin 1870].
Ma chère caro,

Comme tu m’as l’air de t’ennuyer à Luchon ! Tes lettres sont à la fois comiques et lamentables ! Ton temps d’exil ne va pas durer au delà de la semaine prochaine ; un peu de patience encore ! Tu ne nous dis pas si les eaux t’enlèvent tes nombreuses infirmités. Ernest a eu tort de suivre ton régime, il peut se rendre malade.

J’ai fait, il y a huit jours, un triste voyage à Paris. Quel enterrement ! J’en ai rarement vu de plus apitoyant. Dans quel état était le pauvre Edmond de Goncourt ! Théo, qu’on accuse d’être un homme sans cœur, pleurait à seaux. Moi, de mon côté, je n’étais pas bien crâne : cette cérémonie, jointe à la chaleur qu’il faisait, m’avait brisé, et j’ai été pendant plusieurs jours dans une fatigue incompréhensible. Depuis hier, cependant, je vais mieux, grâce aux bains de Seine, je crois.

De sept que nous étions au début des dîners Magny, nous ne sommes plus que trois : moi, Théo et Edmond de Goncourt ! S’en sont allés successivement depuis dix-huit mois : Gavarni, Bouilhet, Saint-Beuve, Jules de Goncourt, et ce n’est pas tout ! Mais il est inutile de t’attrister avec mes chagrins… Je tourne au scheik.

Ta grand’mère va très bien ; elle m’a demandé des détails sur Saint Antoine et les a écoutés avec plaisir. Tu vois qu’il y a une grande amélioration. Elle s’ennuie beaucoup de toi et de Putzel, dont tu ne nous donnes aucune nouvelle.

J’espère qu’à la fin de la semaine tu nous annonceras le jour de ton retour : ce sera sans doute de dimanche prochain en huit ?

Adieu, chère Caro : embrasse ton mari pour moi, et qu’il te le rende au centuple.

Ton vieux bonhomme d’oncle qui t’aime.