Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1092

Louis Conard (Volume 6p. 105-106).

1092. À GEORGE SAND.
[15 mars 1870.]
Chère Maître,

J’ai reçu hier au soir un télégramme de Mme Cornu portant ces mots : « Venez chez moi, affaire pressée. » Je me suis donc transporté chez elle, aujourd’hui, et voici l’histoire.

L’Impératrice prétend que vous avez fait à sa personne des allusions fort désobligeantes dans le dernier numéro de la Revue. « Comment ? moi que tout le monde attaque maintenant ! Je n’aurais pas cru ça ! Et je voulais la faire nommer de l’Académie ! Mais que lui ai-je donc fait ? etc. » Bref, elle est désolée, et l’Empereur aussi. Lui n’était pas indigné, mais prostré (sic).

Mme Cornu lui a représenté en vain qu’elle se trompait et que vous n’aviez voulu faire aucune allusion.

Ici une théorie de la manière dont on compose des romans.

« Eh bien, alors, qu’elle écrive dans les journaux qu’elle n’a pas voulu me blesser.

— C’est ce qu’elle ne fera pas, j’en réponds.

— Écrivez-lui pour qu’elle vous le dise.

— Je ne me permettrai pas cette démarche.

— Mais je voudrais savoir la vérité, cependant ! Connaissez-vous quelqu’un qui… (Alors Mme Cornu m’a nommé.)

— Oh ! ne dites pas que je vous ai parlé de ça ! »

Tel est le dialogue que Mme Cornu m’a rapporté.

Elle désire que vous m’écriviez une lettre où vous me direz que l’Impératrice ne vous a pas servi de modèle. J’enverrai cette lettre à Mme Cornu, qui la fera passer à l’Impératrice.

Je trouve cette histoire stupide et ces gens-là sont bien délicats ! On nous en dit d’autres, à nous !

Maintenant, chère maître du bon Dieu, vous ferez absolument ce qui vous conviendra.

L’Impératrice a toujours été très aimable pour moi et je ne serais pas fâché de lui être agréable.

J’ai lu le fameux passage. Je n’y vois rien de blessant. Mais les cervelles de femmes sont si drôles !

Je suis bien fatigué de la mienne (ma cervelle) ou plutôt elle est bien bas pour le quart d’heure ! J’ai beau travailler, ça ne va pas ! Tout m’irrite et me blesse ; et comme je me contiens devant le monde je suis pris de temps à autre par des crises de larmes où il me semble que je vais crever. Je sens enfin une chose toute nouvelle : les approches de la vieillesse. L’ombre m’envahit, comme dirait Victor Hugo.

Mme Cornu m’a parlé avec enthousiasme d’une lettre que vous lui avez écrite sur une méthode d’enseignement.