Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1061

Louis Conard (Volume 6p. 68-70).

1061. À PHILIPPE LEPARFAIT.
Lundi 4 h.
Mon cher enfant,

J’ai enfin, hier au soir, mis la main sur les directeurs de l’Odéon. Ils m’ont paru fort désappointés lorsque je leur ai fait voir le second acte. Ils se figuraient, les imbéciles, que notre pauvre Bouilhet avait pu terminer les corrections convenues et refaire un acte entier du 12 juin, jour de sa dernière lecture au 18 juillet, jour de sa mort.

Lorsque je vais être installé dans mon nouveau logement il faudra que tu viennes ici pour que nous rétablissions cet acte, d’après ses notes et ses ratures. Ce ne sera pas chose facile ; j’aurai absolument besoin de toi pour amener à bien cette besogne.

S’ils ne veulent pas jouer Aïssé ou qu’on me donne des acteurs insuffisants, ce qui est très possible, nous la publierons en volume ou dans un journal.

Quant au volume de vers, Lévy, qui prétend ne pas gagner d’argent avec les vers, imprimera le volume pour rien, mais c’est tout.

Je ne vois pas d’autre chose à faire.

Bref, le succès matériel des œuvres posthumes de notre pauvre vieux me paraît très problématique. Tu sais que les absents ont tort et que les morts sont vite oubliés.

Que devient la souscription ?

Celle qui est ouverte à Paris ne marche pas raide.

Si tu le juges convenable, consulte nos amis communs, D’Osmoy, Guérard et Caudron sur ce que j’ai à faire.

En as-tu fini avec mesdemoiselles Bouilhet ? Si elles t’embêtent, envoie-les faire foutre carrément. Ce sont des misérables à ne pas ménager. Quand je pense à l’homme de génie, à l’homme excellent, au cœur d’or qu’elles ont fait souffrir, la colère m’étouffe et je voudrais pouvoir les injurier en face, ce que je ne manquerai pas de faire quand j’écrirai sa biographie, laquelle sera insérée dans le Moniteur de Dalloz.

Voilà ce que j’ai à te dire.

Comment va ta chère maman ?

Adieu, mon bon Philippe, je te baise sur les deux joues.