Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1029

Louis Conard (Volume 6p. 30-32).

1029. À GEORGE SAND.
[Croisset, fin juin 1869.]

Ma prédiction s’est réalisée ; mon ami X*** n’a gagné à sa candidature que du ridicule. C’est bien fait. Quand un homme de style s’abaisse à l’action, il déchoit et doit être puni. Et puis, est-ce qu’il s’agit de politique, maintenant ? Les citoyens qui s’échauffent pour ou contre l’Empire ou la République me semblent aussi utiles que ceux qui discutaient sur la grâce efficace ou la grâce efficiente. La politique est morte, comme la théologie ! Elle a eu trois cents ans d’existence, c’est bien assez.

Moi, présentement, je suis perdu dans les Pères de l’Église. Quant à mon roman, l’Éducation sentimentale, je n’y pense plus, Dieu merci ! Il est recopié. D’autres mains y ont passé. Donc, la chose n’est plus mienne. Elle n’existe plus, bonsoir. J’ai repris ma vieille toquade de Saint Antoine. J’ai relu mes notes, je refais un nouveau plan et je dévore les Mémoires ecclésiastiques de Le Nain de Tillemont. J’espère parvenir à trouver un lien logique (et partant un intérêt dramatique) entre les différentes hallucinations du Saint. Ce milieu extravagant me plaît et je m’y plonge, voilà.

Mon pauvre Bouilhet m’embête. Il est dans un tel état nerveux qu’on lui a conseillé de faire un petit voyage dans le Midi de la France. Il est gagné par une hypocondrie invincible. Est-ce drôle ! lui qui était si gai, autrefois !

Mon Dieu ! comme la vie des Pères du désert est chose belle et farce ! Mais c’étaient tous des bouddhistes, sans doute. Voilà un problème chic à travailler, et sa solution importerait plus que l’élection d’un académicien. Oh, hommes de peu de foi ! Vive saint Polycarpe !

Fangeat, reparu ces jours derniers, est le citoyen qui, le 24 février 1848, a demandé la mort de Louis-Philippe, « sans jugement ». C’est comme ça qu’on sert la cause du progrès.