Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1021

Louis Conard (Volume 6p. 17-18).

1021. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Dieppe, lundi soir [1869].

Je ne sais, Princesse, en quels termes encore une fois, vous remercier des huit jours que j’ai passés chez vous. Mon séjour à Saint-Gratien me fait maintenant l’effet d’un rêve exquis. Il me semble que quelque chose de votre personne y circule dans l’air et j’en aime tout, tant il y a de charme partout.

Je vais vivre pendant deux mois sur ces souvenirs, ils me tiendront compagnie dans ma solitude.

Combien de fois ne reprendrai-je pas un à un tous les bons moments que j’ai vécus près de vous !

Ma première chose en arrivant à Rouen, après-demain, sera de faire encadrer votre portrait pour le mettre sur ma cheminée, à la place où les dévots mettent leurs amulettes. Et la statuette de Barre[1] ? avance-t-elle ? en êtes-vous contente ?

Vous avez dû être triste hier : c’était le départ de Mlle Vimercati. Quelle charmante enfant ! Elle fait, dans votre maison, un contraste harmonique avec la vénérable figure de Mme de Fly.

Vendredi dernier j’ai été à Fontainebleau et, grâce à Octave Feuillet, j’ai pu voir une partie du palais. Le lendemain j’ai reçu du même Feuillet un aimable mot où il me disait que l’Impératrice lui avait demandé Salammbô (il paraît que c’est un goût impérial).

Samedi, avant de partir, j’ai été voir Sainte-Beuve que j’ai trouvé assis et déjeunant. Il m’a paru très gai. Si les médecins se trompaient, par hasard ? s’il était moins malade qu’on ne dit ?

Pensez à moi quelquefois, Princesse, c’est-à-dire envoyez-moi de temps à autre de vos nouvelles et laissez-moi me mettre à vos pieds et vous baiser les deux mains.


  1. Depuis Mme Louis Ganderax.