Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0968

Louis Conard (Volume 5p. 372-374).

968. À EDMOND ET JULES DE GONCOURT.
[Croisset] mercredi [mai 1868].

[…] Rentré chez moi, dimanche, à onze heures et demie, je me couche, en me promettant de dormir profondément, et je souffle ma bougie. Trois minutes après, éclats de trombone et battements de tambour ! C’était une noce chez Bonvalet. Les fenêtres dudit gargotier étant complètement ouvertes (vu la chaleur de la nuit), je n’ai pas perdu un quadrille ni un cri ! L’orchestre (comme j’ai l’honneur de vous le répéter) était enjolivé par deux tambours !

À six h[eures] du matin, re-maçons. À sept heures, je déménage pour aller loger au Grand-Hôtel.

Là, trois quarts d’heure de promenade avant de trouver une chambre.

À peine y étais-je (dans la chambre) qu’on se met à clouer une caisse dans l’appartement contigu. Re-promenade dans le même hôtel pour y découvrir un gîte. Bref, à neuf heures, j’en sors et vais à l’hôtel du Helder, où je trouve un abject cabinet, noir comme un tombeau. Mais le calme du sépulcre n’y régnait pas : cris de MM. les voyageurs, roulement des voitures dans la rue, trimbalage de seaux en fer-blanc dans la cour.

De 1 heure à 3 heures, je fais mes paquets et quitte le boulevard du Temple.

De 4 à 6 heures, avoir tâché de dormir chez Du Camp, rue du Rocher. Mais j’avais compté sans d’autres maçons qui édifient un mur contre son jardin.

À 6 heures je me transporte dans un bain, rue Saint-Lazare. Là, jeux d’enfants dans la cour et piano.

À 8 heures, je reviens rue du Helder, où mon domestique avait étalé sur mon lit tout ce qu’il me fallait pour aller, le soir, au bal des Tuileries. Mais je n’avais pas dîné et, pensant que la faim peut-être m’affaiblissait les nerfs, je vais au Café de l’Opéra.

À peine y étais-je entré qu’un monsieur dégueule à côté de moi.

À 9 h., je retourne à l’Hôtel du Helder. L’idée de m’habiller m’épuise comme une saignée aux quatre membres. Je renâcle et je me décide à regagner les champs au plus vite. Mon serviteur fait ma cantine.

Ce n’est pas tout. Dernier épisode : ma cantine déroule de l’impériale du fiacre par terre et me tombe sur l’épaule. J’en porte encore les marques. Voilà.

À vous.