Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0892

Louis Conard (Volume 5p. 265-266).

892. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Dimanche 10 [janvier 1867].
Madame et Princesse,

Vous n’avez pas besoin, pour m’écrire, d’avoir à me conter des « choses intéressantes ». Des nouvelles de vous, quelles qu’elles soient, m’intéressent, et puis comment ne pas désirer vos lettres qui sont… mais je me tais ! Pour n’avoir pas l’air d’un vil courtisan.

En fait d’existence monotone, la mienne ne le cède à aucune ! Aussi vais-je interrompre ce train de vie, plus laborieux qu’agréable. Car, au milieu de la semaine prochaine (dans dix jours environ), je me précipiterai vers la rue de Courcelles, et avec quelle joie ! Je doute, comme vous, que le nouveau Régime de la Presse tourne à bien. Les journaux sont une des causes de l’abrutissement moderne (cela rentre dans la doctrine secrète). Mais le meilleur moyen de les rendre innocents est, je crois, de les laisser libres. La Parole imprimée ne devrait pas avoir plus d’importance que la Parole prononcée. Espérons qu’on y arrivera ! […]

Mon « illustre amie », comme vous dites, a été assez malade. Elle est maintenant à Nohant. Je crois qu’elle va passer le reste de l’hiver dans le Midi.

Je souhaite à Ponsard et à Dumas tout le succès possible. Je les applaudirai de grand cœur, si je peux être à leur première.

Tant mieux que Sainte-Beuve se rétablisse ; il faut qu’il vive longtemps, nous en avons tous besoin. Vous faites bien d’avoir pour lui de l’affection, car il vous est sincèrement dévoué. Mais peut-on vous connaître et ne pas vous aimer, Princesse !

C’est pourquoi je prends la liberté de vous baiser les deux mains et de vous affirmer que je suis entièrement vôtre.

G. Flaubert.