Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0759

Louis Conard (Volume 5p. 95).

759. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
Vichy, lundi [22 juin 1863].

J’ai reçu hier au soir votre article qui m’a été fort agréable. Je le mettrai de côté dans le coin des meilleurs, des plus sympathiques et des plus caressants. Merci donc encore une fois.

Comment avez-vous pu penser que je vous oubliais ? Vous avez toute espèce de droits à mon affection, et je n’ai pas l’habitude d’être ingrat. Vous êtes bonne, excellente même, et je vous aime. Je vous aime pour vos idées, pour vos sentiments et pour vos douleurs. Nous ne quitterons pas ce monde sans nous être serré la main, soyez-en sûre. Si je vais à Nohant, je passerai par Angers.

Mais je ne crois pas que ce plaisir me soit réservé pour cette année. Je vais me mettre à travailler furieusement, à peine rentré ; je l’espère du moins. La vie n’est tolérable qu’avec une marotte, un travail quelconque. Dès qu’on abandonne sa chimère, on meurt de tristesse. Il faut se cramponner dessus et souhaiter qu’elle nous emporte.

Pourquoi donc dites-vous que Paris est si loin ? Une fois en chemin de fer, qu’est-ce que cela fait ? Allons, un bon mouvement, un peu de courage. Priez vos médecins d’être bien durs pour vous et venez me voir cet hiver là-bas.

Je vous souhaite mille allégements et me dis,

Tout à vous.