Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0617

Louis Conard (Volume 4p. 334-335).

617. À JULES DUPLAN.
[Croisset, fin septembre-début octobre 1859].

Je voulais savoir quel était de nous deux le plus ignoble personnage ! Mais à toi le pompon, mon bonhomme. « Vincis forma, vincis magnitudine » comme dit Me Lhomond ; et tu l’emportes par l’oubli.

Oui, je sais bien, tu vas gueuler : « Mon commerce ! ma boutique ! mes registres ! le grand-livre ! mes commis ! ces messieurs ! ces dames ! les commettants, dito, report, font 72 fr 75 c. » N’importe ! J’ai à te dire que tu es un sale cochon, voilà tout. Narcisse lui-même en pleure ; il s’ennuie de ne pas avoir de tes nouvelles ; tu révoltes et attendris jusqu’à la livrée. Ça va-t-il, au moins ? Es-tu content ? gagnes-tu des monacos pour subvenir à tes débauches dans ta vieillesse ?…

Depuis près de cinq mois que nous ne nous sommes vus, j’ai eu assez d’ennuis. Au milieu du mois dernier j’en ai été physiquement malade. Ça remonte un peu ; n’importe ! Ce polisson de livre-là sera raté, j’en ai peur, je marche sur un terrain trop peu solide ! C’est un dédale de difficultés enchevêtrées les unes dans les autres à rendre fou ! J’ai écrit à peu près six chapitres.

J’espère au jour de l’an en avoir fait encore un, ce qui sera la moitié du livre. J’aurai donc, mon cher monsieur, quatre chapitres à te lire, car tu dois n’en connaître que trois ?

Je t’ai attendu tout l’été. De dimanche en dimanche j’espérais ta gentille personne, mais pas de Cardoville. J’ai été indigné, et puis, ma foi, je n’y ai plus tenu. Ç’a été plus fort que moi !

As-tu lu la Légende des siècles du père Hugo ? J’ai trouvé cela tout bonnement énorme. Ce bouquin m’a fortement calotté ! Quel immense bonhomme ! On n’a jamais fait de vers comme ceux des Lions !