Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0547

Louis Conard (Volume 4p. 208-209).

547. À JULES DUPLAN.
[Probablement du 22 juillet 1857.]
Mon cher Duplan,

[…] Savez-vous combien, maintenant, je me suis ingurgité de volumes sur Carthage ? environ 100 ! et je viens, en quinze jours, d’avaler les 18 tomes de la Bible de Cahen ! avec les notes et en prenant des notes !

J’ai encore pour une quinzaine de jours à faire des recherches ; et puis, après une belle semaine de forte rêverie, vogue la galère ! (ou plutôt la trirème !). Je m’y mets ; ce n’est pas que je sois inspiré le moins du monde, mais j’ai envie de voir ça, c’est une sorte de curiosité et comme qui dirait un désir lubrique sans érection.

Bouilhet est venu, il y a trois semaines, passer quelques jours ici ; nous avons employé notre temps à trembler comme deux foirards ; il a peur pour son drame[1] et moi j’ai peur pour mon roman ; nous étions tristes comme des tombeaux et bêtes comme des pots.

Quand vous verra-t-on, vous ? Quand faut-il que j’aille au chemin de fer vous chercher ?

Saint-Victor a-t-il parlé de votre ami Maisiat ? je n’ai de Paris aucune nouvelle. Un article de Baudelaire sur la Bovary, fait depuis longtemps et qui devait paraître dans l’Artiste, n’apparaît pas ; il en est de même de celui de Saint-Victor à la Presse. Mais de cela, je m’en moque profondément. Ah ! Carthage ! si j’étais sûr de te tenir !

Il me paraît impossible que j’aie fini cet hiver, bien que la chose doive être écrite d’un style large et enlevé, qui sera peut-être plus facile qu’un roman psychologique, mais… mais… Oh ! bienheureux Scudéry !

Adieu, cher vieux, vous êtes l’homme le plus gentil de la terre ; aussi, quand vous viendrez à Rouen, je vous ferai voir, chez le père Clogenson, un portrait de votre ami Voltaire qui vous amusera.

Re-adieu, ou plutôt à bientôt. Je vous embrasse.


  1. Hélène Peyron.