Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0510

Louis Conard (Volume 4p. 144-145).

510. À SON FRÈRE ACHILLE.
Mardi soir, 10 heures [6 janvier 1857].

Je crois que mon affaire se calme et qu’elle réussira ; le directeur de la Sûreté générale a dit (devant témoins) à M. Treilhard d’arrêter les poursuites, mais un revirement peut avoir lieu ; j’avais contre moi deux ministères, celui de la Justice et celui de l’Intérieur.

On a travaillé, et pas marché, mais j’ai cela pour moi que je n’ai pas fait une visite à un magistrat.

Ce soir, je viens de recevoir de M. Rouland une lettre fort polie qui m’invite à passer chez lui, demain.

Si Whaal a écrit, c’est bien, et je compte là-dessus ; sinon qu’il écrive, et je n’ai pas eu le temps de lui écrire moi-même. Ce que le préfet a écrit a fait le plus grand bien, j’en suis sûr.

L’important était d’établir l’opinion publique, c’est chose terminée maintenant, et désormais, de quelque façon que cela tourne, on comptera avec moi.

Les dames se sont fortement mêlées de ton serviteur et frère ou plutôt de son livre, surtout la princesse de Beauvau, qui est une « Bovaryste » enragée et qui a été deux fois chez l’Impératrice pour faire arrêter les poursuites. (Garde tout cela pour toi, bien entendu.)

Mais on voulait à toute force en finir avec la Revue de Paris, et il était très malin de la supprimer pour délit d’immoralité et d’irréligion ; malheureusement mon livre n’est ni immoral ni irréligieux.

La mort de l’archevêque de Paris[1] me sert, je crois. Quelle chance que l’assassinat soit commis par un autre prêtre ! on va peut-être finir par ouvrir les yeux.

Voilà, mon cher Achille, tout ce que j’ai à te dire, je ne sais rien de plus, je suis ahuri et rompu.

Quel métier ! quel monde ! quelles canailles, etc.

Adieu, je t’embrasse.

À toi, ton frère.

Je saurai à quoi m’en tenir définitivement vers la fin de la semaine.


  1. Mgr Sibour, poignardé dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, par Verger, prêtre interdit du diocèse de Meaux, le 3 janvier 1857.