Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0491

Louis Conard (Volume 4p. 113-114).

491. À LOUIS BOUILHET.
Croisset, 25 août [1856].

Je te remercie bien, mon cher vieux, d’avoir parlé à Du Camp de la Bovary. Mais je n’en suis pas plus avancé puisque tu ne m’as pas envoyé une solution définitive. Tout ce que je vois, c’est que je ne paraîtrai pas le 1er septembre. Je soupçonne le sieur Pichat d’attendre mon retour au mois d’octobre afin d’essayer encore de me pousser ses corrections. J’ai pourtant sa parole et je la lui rendrai avec un joli remerciement, s’il continue longtemps de ce train-là. Je vais attendre jusqu’au 2 ou 3 septembre, c’est-à-dire qu’au milieu de l’autre semaine, j’écrirai au jeune Du Camp pour savoir, oui ou non, si l’on m’imprime. Je suis harassé de la Bovary, et il me tarde d’en être quitte.

Mon ardeur littéraire a considérablement baissé avec la température. Je n’ai rien fait cette semaine. Saint Antoine, qui m’avait amusé pendant un mois, m’embête maintenant. Me revoilà n’y comprenant plus rien. Ah ! s… n… de D… ! que j’aurais besoin de toi ! Fais-moi donc le plaisir de me dire si tu viendras à Rouen au mois de septembre et vers quelle époque ? réponds à cette question, une fois n’est pas coutume.

J’ai fait aujourd’hui une grande promenade dans le bois de Canteleu, promenade délicieuse, mon cher monsieur, à cause du beau temps qu’il faisait, mais atroce à cause des souvenirs qui m’obsédaient. J’avais au cœur plus de mélancolies qu’il n’y avait de feuilles aux arbres. J’ai été jusqu’à Montigny. Je suis entré dans l’église. On disait les vêpres, douze fidèles tout au plus. De grandes orties dans le cimetière et un calme ! un calme ! Des dindons piaulaient sur les tombes et l’horloge râlait !

Il y a dans cette église des vitraux du XVIe siècle représentant les travaux de la campagne aux divers mois de l’année. Chaque vitrail est tout bonnement un chef-d’œuvre. J’en ai été émerveillé. Je te ferai voir cela si tu viens.

En rentrant, j’ai senti un grand besoin de manger d’un pâté de venaison et de boire du vin blanc ; mes lèvres en frémissaient et mon gosier séchait. Oui, j’en étais malade. C’est une chose étrange comme le spectacle de la nature, loin d’élever mon âme vers le Créateur, excite mon estomac. L’Océan me fait rêver huîtres et la dernière fois que j’ai passé les Alpes, un certain gigot de chamois que j’avais mangé quatre ans auparavant, au Simplon, me donnait des hallucinations. C’est ignoble, mais c’est ainsi. Aurai-je eu des envies, moi ! et de piètres !