Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0488

Louis Conard (Volume 4p. 108-109).

488. À LOUIS BOUILHET.
[Croisset, fin juillet-début d’août 1856.]

Me revoilà à Croisset pour deux mois et dans le re-Saint Antoine. Je commence à m’embêter et j’ai hâte d’en être quitte. J’aurai beau faire, ce sera toujours plus étrange que beau. La pâte du style est molle. Quant à l’ensemble, je secoue ma pauvre cervelle pour tâcher d’en faire un, mais… ?

Quelle belle soirée j’ai passé vendredi dans les coulisses du Cirque, en compagnie du coiffeur de ces dames ! Frédérick Lemaître l’avait soûlé et Person l’avait achevé. Il était plus rouge que les boîtes de fard étalées sur la table de toilette, il ruisselait de cold-cream, de sueur et de vin. Les deux quinquets faisaient casse-péter de chaleur. La fenêtre ouverte laissait voir un coin de ciel noir, des costumes de théâtre jonchaient le parquet. Person gueulait dans les mains de l’artiste aviné qui lui tirait les cheveux. J’entendais les danses de la scène et l’orchestre. Je humais toutes sortes d’odeurs de femmes et de décors, le tout mêlé aux rots du perruquier ; énorme, énorme !

Bûche l’Aveu, ça ira, je t’en réponds. Je crois que l’horizon politique commence à s’éclaircir. Il y a assez longtemps que nous sommes ballottés sur une mer orageuse, pour que nous ayons un peu de bon air.

Adieu, pauvre cher vieux bougre.

Tu seras un bien brave homme de m’envoyer la pièce de l’Incendie[1], car j’éprouve un grand besoin de l’apprendre par cœur, afin de la chantonner tout seul dans le silence du cabinet.


  1. Voir Festons et Astragales.