Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 3/0450

Louis Conard (Volume 3p. 420-421).

450. À LOUISE COLET.
Mercredi soir [Janvier 1854].

Qu’est-ce que Bouilhet me conte ? Je n’y comprends goutte ! Il me dit que tu te plains de n’avoir pas de lettres de moi, que je t’oublie, etc… Si je n’avais la tête vissée d’aplomb sur les épaules, voilà de ces choses qui me la feraient tourner. En fait de lettres, celle-ci est la troisième depuis vendredi. Or, à moins que de s’écrire tous les jours, je ne vois guère moyen de s’écrire plus souvent.

Tu as dû avoir une lettre de moi samedi. Dimanche le paquet du Crocodile, dont tu ne m’as pas même fait la gracieuseté de m’accuser réception, et ce matin tu as dû avoir encore une lettre écrite avant-hier.

Si je n’ai rien mis dans le paquet de Hugo ; c’est qu’il était déjà fort gros. Cependant, pour ne point me borner au simple rôle de facteur, j’y avais intercalé un petit bout de papier sur lequel je t’embrassais. Muse ! Muse ! qu’as-tu donc ? Quel vent te souffle en tête ? Qu’est-ce qui t’agite si fort ? pourquoi ? Qu’y a-t-il de changé entre nous deux ?

À propos du Crocodile, je te préviens qu’il m’avertit lui-même de prendre garde. Un homme de Saint-Malo, dont il me cite le nom (Aubain), a été condamné à 3 ans de prison pour avoir été surpris ayant un volume des Poésies dans sa poche. Aussi je t’engage fort à n’en colporter aucun et à les garder pour toi. Je me doute parfaitement que tu ne suivras pas l’avis. Réfléchis-y cependant. On peut tout par le temps qui court, et on n’a d’égard à rien, ni pour rien.

Je viens de passer ici trois journées à faire quatre à cinq corrections qui m’ont beaucoup embêté. Bouilhet les juge finies ; mais il faut revoir tout cela à froid.

Samedi et dimanche se passeront pour moi à piocher la Servante. Tu auras mardi soir un volume de commentaires. Rien de neuf ; dégel, pluie, brouillard. Le mois de janvier se passe pour moi sans visites, ce dont je bénis la Providence.

Adieu, je t’embrasse.

À toi. Ton G.