Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/Avertissement

Louis Conard (Volume 1p. v-viii).


Vers 1885, quelques années après la mort de mon oncle, j’appris par M. E. Fasquelle que Mme Bissieu lui proposait de publier les lettres de Gustave Flaubert à sa mère Mme Louise Colet.

En éditeur respectueux des droits de chacun et en ami dévoué il avait refusé et croyait devoir m’en avertir. Ce fait me prouvait que des correspondances ignorées de moi allaient peut-être surgir et j’y voyais un danger ; alors ma résolution fut arrêtée : je devais prendre l’initiative, recueillir les lettres écrites par Gustave Flaubert et, s’il y avait lieu, les faire connaître au public.

Qui pouvait mieux que moi, sa file adoptive, accomplir cette tâche délicate et discerner, sinon par l’intelligence, du moins par mon amour filial si complet, ce qu’il convenait d’éditer ?

À cette époque, l’opinion répandue était très partagée ; beaucoup de gens blâmaient ces publications qui permettent aux inconnus de pénétrer jusqu’au plus intime d’un être. Sans doute, je partageais la manière générale de voir à cet égard et je puis affirmer que c’est avec la croyance absolue d’honorer la mémoire de mon oncle que je fus entraînée à cette publication.

Elle eut lieu de 1887 à 1906.

Très blâmée de beaucoup, même par des membres de ma famille, je reçus aussi des encouragements multiples dont un me toucha particulièrement : celui d’un prêtre, directeur d’importants patronages en Bretagne et qui m’écrivit qu’il trouvait un appui moral excellent à faire connaître à ses élèves ces lettres enthousiastes, remplies d’une si haute noblesse d’âme. J’eus aussi l’approbation d’amis illustres, d’Edmond de Goncourt, de José Maria de Hérédia, sans compter celle des jeunes lettrés tel que le Prince Karageorgewitch qui me confia que leur lecture l’avait tiré d’incertitudes graves.

Par la suite le grand succès de la Correspondance m’a prouvé que j’avais eu raison, et tout le monde est d’accord pour admettre que Gustave Flaubert, comme critique et comme homme, serait ignoré du public sans la divulgation de ses lettres.

Si rapprochée de sa mort, la première édition a été faite avec timidité ; plusieurs ensuite ont paru possédant des textes plus complets. Mais voici enfin une édition nouvelle, revue avec le plus grand soin et classée, travail difficile (mon oncle ne datant pas ses lettres).

Elle contient de nombreux inédits, surtout en ce qui concerne la correspondance avec Mme Louise Colet dont M. Louis Conard a pu acquérir les originaux.

Cette édition est sans contredit la plus complète et j’ajouterai la plus parfaite parue à ce jour.


20 février 1926.


Caroline FRANKLIN-GROUT,
Villa Tanit. Antibes.