Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0059

Louis Conard (Volume 1p. 104-105).

59. AU MÊME.
[21 mai 1842.]

Je suis dans un état d’embêtement prodigieux, et je ne sais trouver pour le Droit assez de formules de malédiction. Je suis au titre XIV du IIe livre des Institutes et j’ai encore tout le Code civil dont je ne sais pas un article. Sacré nom de Dieu de merde de nom d’une pipe de vingt-cinq mille putains du tonnerre de Dieu, sacré nom […] que le diable étrangle la jurisprudence et ceux qui l’ont inventée ! Ne faut-il pas être condamné par la cour d’assises pour faire de a littérature pareille et dire les mois usucapion, agnats, cognats ! Parlez-moi de cognac plutôt ! — J’irai donc Paris vers [le] 2 ou 3 de juillet et j’y resterai jusque fin août, époque où je compte passer mon examen. Ne m’as-tu pas dit que je pourrais avoir un logement dans ta cahute ? Dis, si tu penses que c’est faisable, et qu’un homme comme moi s’y trouve BIEN ? J’avoue que ton visage me ferait passer par-dessus beaucoup de choses, et que le plaisir de voir tous les jours un Monsieur tel que toi sera pour beaucoup dans les agréments du bocal où je compte séjourner du 15 juillet au 15 août. Ainsi, retiens mon logement pour cet espace de temps, si tu trouves une chambre logeable et garnie de meubles quelconques. Je tiens à être au midi, aimant à me chauffer les […] au soleil en fumant ma pipe.

À ce qu’il paraît que t’as été malade, mon pov’ vieux ; tu travailles tropp, t’as tort. Il est vrai que l’étude du Droit n’est pas quelque chose de fort amusant, et que je suis aux trois quarts tué. Heureux les gens qui trouvent ça curieux, intéressant, instructif, qui y voient des rapports avec la philosophie et l’histoire et autres ! Moi j’y vois de l’embêtement à dose excessive. — Le citoyen Le Poittevin a débuté brillamment dans deux causes où il a fait acquitter ses gens. — Axiome sur l’étude et le métier d’avocat ; l’étude en est embêtante et le métier ignoble. C’est à mon avis, c’est mon opinion, c’est à mon idée, brrr… psittt…

Orlowski Avokourvlask (prononciation de Cadel) est parti aujourd’hui chasser le renard dans la forêt verte ; il couche à Quincampoix. Quel gars ! Nous consommons assez souvent de l’absinthe ensemble ; il m’en a fait cadeau de deux flacons d’excellente, qui venait de la Forêt Noire. Ne pas confondre avec la « Forêt Noire », chanson que ton grand-papa nous chantait.

Adieu, vieux […], réponds-moi de suite et récrée-moi par quelque facétie, drôlerie, plaisanterie, gaillardise.

Samedi soir, 21, je crois.

Je compte, étant à Paris au mois de juillet prochain, faire un banquet avec toi pour y célébrer les glorieuses, « sauf vot’ respect ».