Correspondance de Choiseul et de Voltaire

Correspondance de Choiseul et de Voltaire
Revue des Deux Mondes5e période, tome 7 (p. 406-445).
CORRESPONDANCE
DE
CHOISEUL ET DE VOLTAIRE

On savait, par les Mémoires posthumes de Voltaire et par quelques passages de sa Correspondance, qu’il avait existé entre lui et le duc de Choiseul un commerce épistolaire, qu’une circonstance fortuite de leur vie avait fait naître et que leur souci de réclame et leurs ambitions simultanées les avaient entraînés à continuer. De cette correspondance, qui dura douze ans avec une certaine régularité de part et d’autre, il ne nous était parvenu jusqu’ici qu’un très petit nombre de lettres : nous n’en trouvons en effet, dans la dernière édition de la Correspondance complète de Voltaire, celle de Louis Moland, datée de 1880, que dix-sept adressées par Voltaire au duc de Choiseul et pas une de celui-ci à Voltaire. Ces quelques restes épars et sans suite ne pouvaient nous édifier sur le caractère des relations établies entre le philosophe et le ministre et, devant l’absence de témoignages suffisans, on pouvait admettre la possibilité d’un doute relativement à la véracité du philosophe de Ferney quand, soit à d’Argental, soit à d’autres correspondais, il parlait pompeusement de ces relations. Et c’est ainsi que, dans son très intéressant ouvrage sur Voltaire pendant la guerre de Sept Ans[1], le duc de Broglie a pu dire, parlant de Voltaire : «… Des lettres ostensibles à lui adressées par Choiseul pour être communiquées à Frédéric II, aucune ne nous est parvenue, et si elles avaient eu le caractère vraiment diplomatique qu’il crut y reconnaître, il serait singulier qu’il les ait laissées disparaître. »

Pourtant Voltaire ne s’était pas vanté. Nous avons la bonne fortune de pouvoir lui rendre cette justice, car ses dires se trouvent confirmés par les lettres que lui écrivit le duc de Choiseul et qui nous sont heureusement parvenues. Elles établissent le rôle à la fois amical et confidentiel joué par Voltaire, devenu diplomate et missionnaire de paix entre la France et la Prusse ; elles nous fournissent encore, sur les événemens politiques et littéraires de cette époque et sur le caractère de Choiseul, des renseignemens d’autant plus précieux qu’on ne connaissait guère la pensée intime de ce ministre que par ses Mémoires de Chanteloup, publication posthume attribuée à Soulavie.

Les dessous de la diplomatie qui mit en mouvement l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, la Russie et l’Espagne y sont dévoilés dans ce style de franchise un peu cynique particulier au duc ministre ; elles révèlent les sentimens de la France à l’égard des Cabinets européens, amis ou ennemis, et forment un véritable chapitre d’histoire.

Copiées sur un cahier dont la reliure ancienne atteste la bonne origine, ces lettres n’étaient pas classées ; on ne saurait s’en étonner d’après ce que l’on connaît de l’esprit vif et brouillon de Choiseul ; en ce pêle-mêle, et presque toutes dépourvues de dates, elles n’auraient pas été faciles à mettre en ordre, si Voltaire, écrivant vingt lettres par jour et ne craignant pas de se servir pour sa correspondance avec les uns des phrases toutes faites trouvées dans les lettres des autres, ne nous fournissait des élémens de précision suffisans pour fixer avec certitude notre classement. Souvent aussi, certains passages des lettres de Voltaire forment pour les nôtres une sorte de commentaire explicatif et, pour cette raison, il nous a semblé utile de les y joindre.

Ainsi complétées, les lettres de Choiseul nous permettent de surprendre le jeu des intérêts qui se débattirent entre lui, Voltaire et Frédéric II, et ce n’est pas une des moindres valeurs de cette correspondance que de mettre en présence trois des plus grandes figures du XVIIIe siècle.


Le 12 décembre 1754, Voltaire arrivait à Genève, accompagné de sa nièce et de son secrétaire. Installé provisoirement au château de Prangins, et voyant ses tentatives de rappel à Paris accueillies par les signes d’une défaveur complète, il dut songer à se créer une installation définitive. Avec l’appui du conseiller François Tronchin, il obtint l’autorisation de séjour sur le territoire de la république de Genève et fit, en février 1755, l’acquisition d’une maison située près de Genève, et qu’il appela les Délices. Mais, en 1759, gêné pour ses représentations théâtrales par les rigueurs du conseil genevois, dans la dépendance duquel il ne trouvait plus une liberté de croyances suffisamment tolérante, il acheta à M. de Budé de Boisi le domaine de Ferney, dont il prit possession en février. Il y fit d’abord construire un château, puis il en agrandit le territoire, en y joignant bientôt le comté de Tournay, que lui céda le président de Brosses et qui comportait le droit de haute et basse justice. Ferney était une seigneurie absolument franche, libre de tous droits envers le roi et de tous impôts depuis Henri IV. C’était un précieux privilège, et, pour le conserver, Voltaire ne recula devant aucune démarche ; il se fit recommander par d’Argental au duc de Choiseul, alors dispensateur des titres et brevets dont Mme de Pompadour était l’ordonnatrice.

Le duc de Choiseul, qui, jusqu’alors, avait accueilli les demandes concernant Voltaire avec une certaine froideur, se mit à sa disposition et s’occupa avec zèle de l’obtention du brevet relatif à Ferney ; Voltaire en eut la jouissance en mai 1759. Cette rentrée de faveur n’était pas sans cause ; elle était la suite naturelle d’une aventure particulièrement piquante, dont Voltaire composa l’un des chapitres de ses Mémoires pour servir à l’histoire de sa vie. Nous en donnons ici la substance, car cette aventure est eu quelque sorte l’explication nécessaire, le prétexte déterminant de sa correspondance avec Choiseul.

Dès son arrivée en Suisse, Voltaire avait repris ses anciennes relations avec son royal confrère Frédéric II, qui lui adressait couramment des productions poétiques à corriger. Or, dans les premiers jours de mai 1759, il reçut du roi de Prusse un paquet volumineux contenant des vers et de la prose ; le paquet avait été décacheté. À cette ouverture préalable Voltaire n’eût peut-être pas attaché grande importance, si, parmi les pièces de vers que lui soumettait son royal élève, il n’avait trouvé une ode dédaigneuse pour la France, méprisante pour Louis XV et, ce qui était plus grave alors, outrageante pour la maîtresse toute-puissante, Mme de Pompadour. A la lecture de ces vers, tremblant de se les voir imputer ou tout au moins d’être accusé d’avoir travaillé à leur correction, Voltaire se rendit auprès du résident de France à Genève, le baron de Montpéroux, et lui demanda conseil. Il se voyait déjà, sinon arrêté pour crime de lèse-majesté, tout au moins écarté à jamais de la Cour de France près de laquelle il ne désespérait pas de rentrer tôt ou tard en grâce. Que devait-il faire pour sortir de cette position délicate ?

L’avis de M. de Montpéroux fut qu’il serait sage de prendre les devans et d’essayer de se concilier la faveur de la marquise de Pompadour au lieu d’en attendre les colères. Comprenant tout le parti qu’il pourrait tirer des avances auxquelles on le conviait, Voltaire adressa donc Iode de Frédéric à Choiseul, alors ministre des Affaires étrangères et favori de la favorite. Le prix de son avance officieuse devait être le renouvellement des franchises de Ferney, premier gage d’un retour favorable dont il entrevoyait tous les avantages. La réponse du duc de Choiseul lui apporta la preuve qu’il ne s’était pas trompé dans ses prévisions sur un heureux changement à son égard :


A Versailles, ce 20 avril[2] (1759).

« J’espère, mon cher solitaire suisse, que vous aurés[3] votre brevet pour votre terre, mais je suis astraint à des formes de maître des requêtes sur cet objet, d’autant plus que cette expédition ne nie regarde pas parce que je n’ai point de provinces dans mon département, au lieu que M. Rouillé avait le Dauphiné, ce qui le mit dans le cas d’expédier le brevet du président, de Brosses Je ne vous fais tout ce narré ennuyeux que pour vous prouver que je ne néglige pas ce qui vous intéresse. J’ai fait connaître au Roi la façon dont vous vous êtes conduit à l’occasion de la pièce de vers du roi de Prusse, mais je n’ai pas mis sous les yeux de Sa Majesté cette pièce ; je crois qu’il est inutile que les rois connaissent qu’ils ont des confrères assés petits et assés indécens pour faire d’aussi mauvais vers. Le roi de Prusse n’est pas meilleur poëte qu’il n’est valeureux guerrier ; cependant sa qualité de roi, son ambition, son désir extrême de gloire et la peine qu’il se donne pour que l’on croye qu’il en mérite, fera que quelques imbéciles lui accorderont l’universalité des talens ; mais les gens sensés et d’un vrai mérite laisseront après eux des monumens qui anéantiront le clinquant qui environne ce prince et ne laisseront voir que son cœur. Dans cette situation, l’aspect ne sera pas favorable au roi de Prusse.

« Je n’imagine pas qu’il ait la hardiesse de faire imprimer son ode, ni de la divulguer ; en tous cas, je vous envoye la réponse que je ferai imprimer sur le champ ; elle n’est peut-être pas mieux faite que la sienne, mais elle a le mérite de la vérité, car celui qui l’a fait pense exactement tout ce qu’il a écrit, et l’on est vrai quand on pense ce que l’on dit. Si vous pouviés faire parvenir au roi de Prusse le conseil d’anéantir sa production, je crois que c’est ce qu’il y aurait de plus honnête ; au reste nous ne craignons pas plus cette guerre-là que celle qu’il fait à l’impératrice[4].

« L’on dirait à l’audace des écrits de Sa Majesté prussienne que ce prince a l’âme forte, vous la connaissez ; elle est bien éloignée d’être imprimée d’un tel caractère ; il ressemble à ceux qui chantent dans les rues parce qu’ils ont peur, et sûrement, malgré ces vers, il ne sait pas encore comment finira pour lui la tracasserie qu’il a formée en Europe et qui, par notre patience et la solidité de notre puissance, devrait écraser le pot de terre.

« Adieu, mon cher solitaire, je vous embrasse de tout mon cœur, et vous laisse le maître de faire passer à Sa Majesté prussienne tout ce que je vous écris en vous renouvellant mes éloges et mes remerciemens de la manière honnête dont vous vous êtes servi dans cette occasion pour prouver que vous êtes bon Français et bon sujet du Roi. »


La réponse au pamphlet poétique du roi de Prusse, réponse qu’envoie Choiseul à Voltaire, avait été composée par Palissot sur l’ordre du ministre et sous la forme d’une ode, aussi mordante, aussi venimeuse que celle de Frédéric. C’est ainsi qu’au passage dans lequel Frédéric accuse Louis XV d’oublier les devoirs de la royauté dans les bras d’une maîtresse :


Quoi ! Votre faible monarque,
Jouet de la Pompadour,
Flétri par plus d’une marque
Des opprobres de l’Amour ;

Lui qui, détestant les peines,
Au hasard remet les rênes
De son empire aux abois,
Cet esclave parle en maître,
Ce Céladon sous un hêtre
Croit dicter le sort des rois,


à ce passage si directement offensant pour la moralité du Roi, Palissot riposta par une attaque non moins directe à la moralité de Frédéric :

Jusque-là, censeur moins sauvage,
Souffre l’innocent badinage
De la Nature et des Amours,
Peux-tu condamner la tendresse,
Toi qui n’en as connu l’ivresse
Que dans les bras de tes tambours ?

Le dernier trait, particulièrement mordant, fait allusion à certain vice du roi de Prusse sur lequel Voltaire a si méchamment insisté dans ses Mémoires. On comprend qu’avec de telles armes, Voltaire eût pu, s’il l’avait voulu, engager entre les deux Majestés, celle de France et celle de Prusse, une guerre à coups de plume ; mais il n’eut pas été sûr de pouvoir en rester le modérateur et il trouva plus d’avantages à jouer le rôle d’intermédiaire pacifique. Il écrivit donc à Frédéric[5] une lettre de complimens, lui disant que son ode était fort belle, que les vers étaient certaine nient, les plus beaux qu’il eût encore lus de lui, mais que leur publication, inutile à sa gloire, deviendrait une nouvelle ; cause d’inimitié entre la France et lui, et rendrait alors toute réconciliation impossible. Du reste, ajoutait-il : « Ma malheureuse nièce, que cet écrit a fait trembler, la brûlé, et il n’en reste de vestige que dans ma mémoire qui en a retenu trois strophes trop belles. »

Avec ces complimens, Voltaire, suivant en cela l’avis de Choiseul, avait arrêté la guerre épistolaire naissante ; et, très avisé, toujours prêt à tirer profit du moindre service rendu aux puissans de la terre, il songea à étendre son rôle en transportant sa médiation sur un terrain plus solide que celui des invectives poétiques. Il se rappela les négociations que, sur l’ordre de Louis XV, il avait entamées en 1743 avec Frédéric, négociations destinées à renouer l’alliance de la France et de la Prusse et qui devaient rester secrètes. Il n’avait alors rien obtenu sans doute, mais, si les vues politiques dont il était l’interprète avaient été tenues en suspicion par le roi de Prusse, l’accueil personnel qu’il avait reçu avait adouci pour lui l’amertume d’un insuccès ; et le souvenir des avantages attachés à la position délicate, mais indépendante, du négociateur, l’engagea à mettre à exécution une idée, qu’il a qualifiée dans ses Mémoires de « plaisante, ridicule et bien digne du temps et des événemens. »

Il imagina donc de donner une suite au commencement de relations provoquées par les deux odes et d’en tirer parti pour une mise en présence des deux parties adverses. Peut-être, à la faveur de ce premier rapprochement, pourrait-il amener un échange de propositions capables de servir de base à la paix générale. Sous leur légèreté, ses expressions cachent mal la satisfaction qu’il éprouvait à s’ériger en arbitre des destinées du monde et en confident de deux puissans souverains. Il escomptait d’avance le profitable honneur de traiter familièrement le premier ministre d’un pays, qui lui était pour le moment moralement interdit. Son intervention, utile à la France, n’aurait-elle pas pour résultat d’adoucir les sentimens de Louis XV à son égard, sentimens hostiles aux philosophes en général et particulièrement à celui de Ferney ; dès lors, ne pourrait-il espérer, avec le temps, un rappel possible, dont il n’eut pas tiré grand profit, mais dont sa vanité se fut trouvée flattée ?

D’autre part, Voltaire avec lequel les grands esprits de la littérature et des arts se trouvaient en rapport, Voltaire devenu le centre des visées ou des intrigues des gens de cour et des philosophes, qui se disputaient la gloire d’occuper une place dans les registres de sa correspondance, Voltaire, offrant à Choiseul un échange de lettres suivi, ne pouvait manquer de voir accepter sa proposition. Correspondre avec lui, c’était compter parmi les amis du plus grand génie de ce temps et, ce qui devait particulièrement plaire au ministre de Louis XV, c’était s’assurer le concours du premier des trompettes. Il répondit donc à Voltaire et lui écrivit « plusieurs lettres ostensibles tellement conçues que le roi de Prusse pût se hasarder à faire quelques ouvertures de paix sans que l’Autriche pût prendre ombrage du ministère de France, et Frédéric lui en écrivit de pareilles dans lesquelles il ne risquait pas de déplaire à la Cour de Londres. »

Tels sont les termes dont se sert Voltaire pour définir le caractère de la correspondance ; mais, en affectant de ne parler que des lettres ostensibles, il s’absout d’une petite perfidie qui, de sa part, n’étonnera personne. Si certaines de ces lettres étaient écrites pour être montrées de l’un à l’autre, quelques-unes restaient confidentielles, et cependant, selon les besoins de sa politique personnelle, il les faisait circuler sans scrupule. Remises aux mains de Frédéric, elles s’en allaient, par les soins de celui-ci, éveiller, auprès des Cours russe, anglaise et autrichienne, la défiance et la suspicion envers la Cour de France.

Choiseul, tout en s’en plaignant, ne paraît pas avoir pris trop d’humeur des indiscrétions de son illustre correspondant ; il avait trouvé une manière agréable de traiter d’ennuyeuses affaires et, pour un homme porté à aimer le plaisir plus que ses devoirs et à négliger le ministère pour les boudoirs, les ennuis des risques probables devaient être bien compensés par l’intérêt d’un agréable commerce, bailleurs, pour expliquer cette indifférence un peu hautaine, ne suffit-il pas de rappeler l’homme de cour qu’était Choiseul et l’affectation qu’il mettait à se donner l’apparence de traiter les intérêts publics sans réflexion, de décider les guerres sans enthousiasme et, par suprême bon ton, de se moquer de tout ? Si donc Choiseul gronda Voltaire de ces indiscrétions, du moins, comme nous le verrons par la suite, n’insista-t-il jamais beaucoup sur ces reproches.

Quant à Voltaire, il devait, en homme pratique, tirer parti de ses relations avec le tout-puissant duc, pour mener à bien les affaires les plus diverses et surtout ses affaires personnelles. Depuis son arrivée à Ferney, il avait pris au sérieux son rôle de poète fermier ; il s’intéressait à la bonne tenue de ses champs, à la santé de ses bestiaux, et parlait souvent, non sans quelque affectation, de ses bœufs et de ses labours. Mais ses nouvelles occupations n’allaient pas sans de nombreux procès dus à ses ambitions territoriales et à son ardeur pour soutenir la cause de ses paysans qu’opprimait leur curé. De plus, il entrait fréquemment en lutte avec le fisc, relativement au paiement des impôts ou à des refus de passage sur les différentes frontières pour ses denrées ou pour son blé. C’était pour lui l’occasion d’autant de suppliques et de sollicitations adressées au duc de Choiseul, et c’est à une demande de ce genre que répond celui-ci dans la lettre suivante :


A Versailles, ce 28 mai (1759).

« Je vous envoye, mon cher Hermitte, toute votre affaire aussi bien que nous avons pu la consommer ; je crois qu’il serait plus aisé de raccommoder le roi de Prusse avec l’Impératrice que de faire sortir des blés de France ; mais j’ai pris mes précautions avec M. de Joly de Fleury[6], qui m’a promis, ainsi qu’au Roi, qu’il donnerait toutes les permissions que vous demanderiés à ce sujet. Si il me manquait de parole vous m’en informeriés et, quoique je n’aye pas grand crédit sur la robe et sur les fermes, j’employerai tout, celui que je peux avoir pour vous satisfaire. Votre ode Sur la Mort de la Margrave paraît ici ainsi que la lettre qui la suit ; cette lettre vous fera des ennemis puissans, et j’aurais mieux aimé qu’elle ne fût pas imprimée, mais il ne faut pas craindre les choses faites. L’ode contre le roi de Prusse restera dans le plus profond secret tant que la sienne ne paraîtra pas ; ce n’est ni moi, ni Chauvelin qui l’avons faite, j’en ai donné la matière et quelques vers, un de mes amis[7] a composé le remplissage ; je ne la trouve pas trop bonne, parce que je n’ai jamais trouvé une ode bonne, mais elle a le mérite de peindre avec vérité mes sentimens sur le roi de Prusse et le peu de crainte que me cause son prétendu héroïsme. Si le Roi me le permet, je vous assure que je lasserai très prompte nient le courage de ce héros, ce sera alors que le masque tombera, il ne restera que le moral de la plus vilaine Ame qui ait jamais existé. Adieu, mon cher hermite, écrivez-moi les nouvelles que vous aurés du Salomon du Nord, assurés de mes respects Mme Denis et regardés moi comme votre serviteur. »


Les reproches que formule Choiseul au sujet de la note accompagnant l’Ode sur la mort de la Margrave, étaient motivés par ce fait que Voltaire saisissait toutes les occasions, même celles qui semblaient le moins opportunes, pour soutenir ses idées et affirmer ses doctrines. Le 14 octobre 1758, la margrave de Bayreuth, sœur de Frédéric II, était morte et Voltaire avait été chargé par le monarque de conserver au monde, dans une ode dithyrambique, le souvenir de la princesse dont il glorifia les vertus ; mais, sous prétexte de donner des développemens explicatifs, il joignit à l’ode une note complémentaire, dans laquelle il attaquait vivement les Jésuites et faisait l’apologie de la philosophie en défendant les philosophes. Choiseul, qui blâme la Note, ne dit rien du poème ; les louanges de la famille prussienne ne pouvaient lui plaire, et le silence dédaigneux qu’il garde à leur sujet n’était que simple représaille, puisque Frédéric, qui le tenait en grand mépris, ne se faisait pas faute de le persifler en prose et en vers. D’ailleurs, Choiseul devait être d’autant plus tenté de s’exprimer librement sur le roi de Prusse qu’il se savait assuré de trouver auprès de son correspondant un écho complaisant.

En effet, Voltaire, quoiqu’il eût consenti à reprendre sa correspondance avec Frédéric, n’avait nullement oublié son aventure de Francfort, cette odyssée épique qu’il nous raconte tout au long dans ses Mémoires ; et, quoique cette mésaventure dît déjà vieille de six années, il en avait gardé un ressentiment sur lequel il s’expliquait volontiers avec ses amis. C’est ainsi que, répondant aux dernières lignes de la lettre précédente, il écrivait à d’Argental, le 29 juin 1759 : « Je ne peux en conscience aimer Luc ; ce roi n’a pas une assez belle Ame pour moi. Il me semble que M. le duc de Choiseul le connaît bien. »

Cependant, tout en affectant mépris pour mépris, Choiseul ne laissait pas moins percer la préoccupation que lui causait la mauvaise opinion du roi de Prusse à son égard, car il s’en affectait, et d’autant plus qu’en son for intérieur il la sentait justifiée par ses insuccès politiques. Unie, depuis le 1er mai 1756, à l’Autriche par une alliance qu’une convention secrète avait confirmée le 30 décembre 1758, la France se trouvait engagée dans la longue, meurtrière et coûteuse guerre de Sept ans. Sacrifiant aux ambitieuses menées de Marie-Thérèse ses armées, sa marine, ses colonies et son crédit, elle soutenait une lutte continentale qui ne pouvait être pour elle qu’un affaiblissement de forces et un amoindrissement de prestige. Le grand ennemi, le roi de Prusse, pour entretenir ses armées et pour garder son royaume, avait signé un traité avec l’Angleterre, qui lui fournissait des subsides, trop heureuse de le voir occuper sur le continent une nation dont elle convoitait les colonies et dont elle voulait anéantir la puissance maritime.

Et, depuis trois campagnes, Frédéric se débattait contre les troupes alliées, russes, françaises, autrichiennes et suédoises. Souvent vainqueur, il eut cependant des revers ; c’est ainsi que, le 18 juin 1757, il avait été battu à Kollin par le maréchal autrichien Daun, malgré une défense désespérée de ses soldats, qui perdirent 25 000 hommes dans la journée. A cette première défaite succédèrent pour Frédéric les revers successifs de ses alliés et de ses généraux ; puis la capitulation du duc de Cumberland, qui, à Closterseven, le 8 septembre 1757, s’était rendu à Richelieu avec 35 000 Anglo-Hanovriens. Assombri par ces revers, entouré de toutes parts par ses ennemis, ne voyant aucun moyen de sortir d’une impasse où sa royauté semblait devoir être définitivement abattue, Frédéric avait résolu de se tuer ; mais, voulant mourir en poète autant qu’en roi, il avait adressé au marquis d’Argens une longue épître en vers[8], dans laquelle il annonçait ses intentions formelles de suicide. Il avait également envoyé cette épître à Voltaire, qui lui répondit aussitôt pour lui faire compliment des vers et pour l’engager à vivre. Sage conseil, que le Roi n’eut pas de peine à suivre et dont il se trouva bien, puisque, peu de temps après, il avait battu les alliés à Rosbach et, reprenant une nouvelle confiance en lui-même, avait tenu la campagne avec honneur. Depuis trois ans, il restait l’ennemi que les alliés ne pouvaient vaincre, malgré leurs forces imposantes et les généraux habiles qui les commandaient.

Tandis que le roi de Prusse, entremêlant les combats de distractions poétiques, luttait et versifiait sans relâche, Voltaire, tranquille à Ferney, à l’abri des vicissitudes politiques et loin du théâtre de la guerre, continuait ses multiples travaux. Il terminait alors le premier volume de son Histoire de Pierre Ier, à laquelle il travaillait depuis deux ans déjà et qu’il avait entreprise sur la demande de la Cour de Russie ; le comte Schouvalow, qui s’était mis en relations avec lui en 1757 pour l’engager à écrire cette histoire, lui fournissait les documens. Il venait d’achever aussi sa tragédie de Tancrède, et, toujours soigneux de ses intérêts, désirant l’appui de Mme de Pompadour et prêt aux courtisaneries qui pouvaient le lui faire obtenir, il avait jugé bon de parler à la Marquise de sa nouvelle pièce ; il lui en avait promis l’hommage et, le 23 juin 1759, il écrivait à d’Argental : « Elle (Mme de Pompadour) m’a répondu qu’elle attendait la pièce (Tancrède). Que faut-il donc faire, mon cher ange ? La donner à M. le duc de Choiseul, et que M. le duc de Choiseul la donne à Madame la Marquise comme un secret d’Etat. Elle fera ses observations… » Le 29 du même mois, revenant sur ce sujet, il écrivait au même : « … Il faut donner la maison (Tancrède) à Madame la Marquise ; il faut la confier à M. le duc de Choiseul et que, de ses mains bienfaisantes, elle passe dans les belles mains de son amie. Il voulait, disiez-vous, une tragédie pour pot-de-vin du brevet[9] : la voilà… »

D’Argental, qui servait d’intermédiaire entre Voltaire et Choiseul pour l’échange de leur correspondance, n’avait pas manqué de remettre au Ministre les lettres et la pièce ; peu de jours après cet envoi, Choiseul répondit :


Versailles, ce 6 juillet (1759).

« Je reçois, ma chère Marmotte, la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire le 29 juin[10]. D’Argental m’a remis votre pièce Paladine, et je l’ai confiée ce matin à Mme de Pompadour, à qui j’ai demandé le plus profond secret ; j’espère que nous trouverons le tems de la lire ensemble ; je n’ai pas pu y jetter les yeux pendant deux jours que je l’ai eu dans mon tiroir ; ce ne sont pas les affaires qui m’en ont empêché ; ce sont, de par tous les diables, les importuns qui m’obsèdent et qui sans rien gagner me font perdre mon tems.

« Tout ce que je vois du roi de Prusse change en Polisson, puisque Polisson y a, le héros que je croyais appercevoir. Qu’est-ce que c’est que de vouloir se tuer pour des revers, et puis d’être avantageux et inconsidéré comme un petit-maître écervelé, qui sans esprit, dit de grosses injures ; ti, cela fait vomir et sent la mauvaise éducation germanique ! Il pourrait battre encore cent fois le médiocre Daun ou en être ? battu, car, tout médiocre qu’il est, il a battu deux fois Sa Majesté prussienne[11], que je ne mépriserais pas moins le roi de Prusse. Ne pouriés vous pas engager ce prince bien disant de vous mander ce qu’il pense sur mon compte ; je ne prétends pas par là lire des vers à ma louange, car je suis persuadé qu’il a de moi en tous genres l’opinion la plus méprisante, mais cependant il me serait nécessaire de juger, à la tournure de ses invectives, la conduite ultérieure que j’aurai dans d’autres tems à tenir avec lui ; ainsi je vous prie de me procurer de sa part un portrait injurieux en lui parlant de moi.

« Votre idée sur Schuvalow est bonne et très bonne ; vous nous rendrés service en en faisant usage ; je ne crois pas cependant que l’on ose dire à Sa Majesté Impériale de toutes les Russies les propos galans et pleins de sel et de finesse que le roi de Prusse tient sur elle, ni que messieurs les Russes, tout chambellans qu’ils sont, soient sensibles à ces fadaises ; mais, malgré la distance d’une injure au knouke, je crois que de votre part la connaissance de ces propos ferait plus de sensation que de la mienne ; et en tout cas, si cette connaissance ne fait pas de bien, elle ne fera pas de mal ; il faut convenir que, nous et l’Angleterre, payons pour notre querelle des spadassins bien extraordinaires ; mais il sera toujours décidé que les rois payés sont les polissons et non pas ceux qui payent. Je ne montre pas au Roi les grossièretés du roi de Prusse ; je les garde pour moi ; le bien de l’Etat doit éloigner l’animosité et ne faire voir que l’intérêt, mais je ne laisse pas ignorer à Sa Majesté et à Mme de Pompadour votre zèle français que l’on retrouve dans tout ce que vous faites, et je vous assure que je vois avec plaisir que le Roi y est sensible ; pour cela vous pouvés compter qu’elle vous aime beaucoup ; je n’affaiblirai pas ce sentiment, ma chère Marmotte, écrivés moi souvent ; aimé moi un peu et compté sur mon véritable attachement. »


Relativement à Tancrède, Choiseul n’avait pas gardé le secret promis. Sa négligence ne dut pas surprendre beaucoup Voltaire, qui s’en plaignit cependant à d’Argental : « N’avez-vous pas grondé M. le duc de Choiseul de ce que la Chevalerie traîne dans les rues ?… Il ne me paraît pas douteux à présent qu’il ne faille donner à Tancrède le pas sur Médine. On m’écrit que plusieurs fureteurs en ont des copies dans Paris : les commis des Affaires étrangères, n’ayant rien à faire, l’auront copiée… »

Recommander le secret à Mme de Pompadour et laisser le manuscrit à la merci de ses bureaux, c’est là un des traits qui caractérisent Choiseul, dont l’esprit ouvert et subtil s’accommodait mal des soins et même des simples précautions. Volontiers il abandonnait à ses suppléans le soin de suivre les affaires sérieuses, celles qu’il ne pouvait diriger selon le jeu de son imagination souvent trop vive, et c’est ainsi qu’il chargea le marquis de Chauvelin, l’ambassadeur, de faire à Voltaire des observations sur une lettre que celui-ci avait écrite au roi de Prusse pour entamer, d’après les instructions du ministère français, des pourparlers en vue de la paix. Le brouillon de Voltaire n’avait pas convenu en haut lieu et Chauvelin indiquait les corrections nécessaires. Cette lettre de Chauvelin montre la première tentative faite par la Cour de France en faveur de la paix, que Choiseul, dans sa correspondance, nous présente officieusement comme devenue indispensable.

Voltaire ayant écrit, probablement selon les données rectificatives du ministère français, Frédéric répondit, le 22 septembre 1759 : «… Mais je vois qu’il s’agit de paix. Tout ce que je peux vous dire de positif sur cet article, c’est que j’ai de l’honneur pour dix, et que, quelque malheur qui m’arrive, je me sens incapable de faire une action qui blesse le moins du monde ce point si sensible et si délicat pour un homme qui pense en preux chevalier… Pour faire la paix, voilà deux conditions dont je ne me départirai jamais : 1° de la faire conjointement avec mes fidèles alliés ; 2° de la faire honorable et glorieuse… ; je suis dans les convulsions des opérations militaires ; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur et qui s’opiniâtrent contre la fortune… J’ai affaire à de si sottes gens qu’il faut nécessairement qu’à la fin j’aie l’avantage sur eux… La bataille de Minden, celle de Cadix et la perte du Canada sont des argumens capables de rendre la raison aux Français, auxquels Y ellébore autrichien l’avait brouillée. Je ne demande pas mieux que la paix, mais je la veux non flétrissante… Voilà ma façon de penser ; vous ne me trouverez pas à l’eau de rose ; mais Henri IV, mais Louis XIV, mes ennemis même que je peux citer, ne l’ont pas été non plus… »

C’est cette réponse de Frédéric, réponse qui domine pour ainsi dire toute la suite des faits, que Choiseul reprend et critique en un véritable commentaire qu’il adresse sous forme de lettre à Voltaire :


A Versailles, ce 12 novembre (1759).

« Avés vous connu Meuse[12], mon cher hermitte ? Il avait une terre en Lorraine qui s’appelle Sorcy ; dans cette terre était un antique et noble château sur la porte duquel il y avait une devise qui disait : A force d’aller mal, tout ira bien. Meuse était de mes parens ; je n’ai point sa terre, mais j’ai conservé sa devise ; elle est applicable au temps, sans quoi amis et ennemis, pénétrés de remords des maux qu’ils causent à la terre, devraient s’aller jetter la tête la première dans la prochaine rivière.

« La lettre de Luc, que vous m’avés envoyé et dont je vous remercie, est du même style que ses précédentes ; il y joint la jactance allemande aux anciens sentimens espagnols, maures, grenadins. J’ai de la propension à croire que ce preux chevalier ressemble à ceux qui chantent dans la rue pour s’étourdir sur leur peur. Il n’y a dans toute sa lettre qu’un trait naturel, qui est quand il dit qu’il a affaire à des bêtes ; ma foi, rien n’est si vrai, mais, tout bêtes qu’ils sont en particulier et en général, ils doivent à la longue abbatre une puissance qui n’a pas de consistance par elle-même. Si Luc veut y réfléchir, il conviendra que le 13 d’août, si ses ennemis l’avaient voulu, le paladin et sa puissance était à terre et que la bataille de Minden, le combat de Cadix et la prise de Québec ne lui auraient pas procuré un tronçon de lance, ni un pouce de terre. Au lieu qu’une bataille gagnée contre la maison d’Autriche, la France et la Russie ne détruira pas des empires qui ont une consistance réelle. Ceci ressemble à la dispute d’un charlatan contre trois bons médecins ; il est possible que le charlatan guérisse le malade ; alors il aura une réputation momentanée, toujours avec les réflexions des gens sensés qu’il est un charlatan ; si son remède manque, il sera décrié et tombera comme de raison dans le mépris ; au lieu qu’il est mort bien des malades entre les mains de Boerave[13], cependant sa réputation et l’estime publique qu’il s’est acquise n’en est pas moins solide. Le roi de Prusse est le charlatan de l’Angleterre. Je ferai encore une comparaison, car je suis en train : le roi de Prusse ressemble à un joueur qui aurait pour toute fortune mille louis et qui les jouerait contre M. de Montmartel[14] et les fermiers généraux ; si il joue mieux pendant un tems à hazard égal, il gagnera gros, surtout lorsqu’il doublera toujours son jeu du produit de son gain ; il parviendra à incommoder même les fermiers généraux ; mais, si Montmartel et la ferme s’obstinent à jouer, il arrivera un coup heureux et le joueur brillant jusques à ce coup, sera réduit à vivre de la charité de la paroisse ; dites-moi de bonne foi, d’après ces comparaisons que je crois justes, si il n’est pas risible qu’un charlatan habile qui joue les mille louis des Anglais se compare à Henri IV et à Louis XIV. Il n’a ni les vertus, ni les vices heureux de ces deux princes ; ce preux chevalier n’est qu’un Dom Quichotte yvre qui devrait se souvenir de la lettre qu’il a écrit à M. de Richelieu après la capitulation de Closter Seven ; laissons-le, mon cher Solitaire, cuver son hellébore de vanité ; il n’y a rien à faire avec un personnage pareil, qui est de mauvaise foi et qui s’avise de vous parler de ses fidèles alliés.

« Ne craignes rien de ma première lettre ; fût-elle sous le cotillon d’une impératrice, elle ne vous causera aucune peine. Divertisses mon ambassadeur chéri, je l’envie beaucoup et me reprocherai toujours de n’avoir pas passé aux Délices en revenant de Rome[15]. C’est là vraiment où l’on peut être heureux et, lorsque MM. les souverains se seront assés amusés à dépeupler la terre, je vous demande de m’y conserver un appartement et d’y recevoir le plus véritable et le plus tendre de vos serviteurs.

« Ma lettre était finie quand je reçois la vôtre du 6[16], vous avés raison de me gronder ; ce n’est cependant pas ma faute et je vous assure que je voudrais passer ma vie à vous écrire et à recevoir de vos lettres.

« Je n’adopte pas, ou du moins ne dois-je pas le dire, toute votre lettre à Luc ; il n’y a pas de mal que vous l’ayés envoyé ; nous verrons la réponse, mais je vous assure qu’elle sera fière, surtout si, comme je n’en doute pas, il étrille MM. les Autrichiens avant la fin de la campagne. Je ne suis pas attaché aux castors, mais chés moi, mon cher hermitte, tout est perdu hors l’honneur. Je n’ai pas le tems de vous en dire davantage. »


Le 13 août 1759, le roi de Prusse s’était trouvé une fois encore dans une passe difficile. Entouré par les Russes et les Autrichiens à Kunersdorf, il avait attaqué 80 000 hommes avec 45 000. Ayant tout d’abord tourné les Russes, il les força ; mais, s’étant brisé contre les Autrichiens, il permit aux Russes de se rallier, et ses troupes, écrasées entre les deux armées réunies, se rompirent et se mirent en déroute complète. De l’aveu de Frédéric lui-même, si les Musses avaient su profiter de la victoire, la Prusse était perdue ce jour-là. Il n’en fut rien ; les alliés trop affaiblis ne songèrent qu’à pourvoir à leur propre sureté. Un instant, Frédéric avait craint d’être réduit à la nécessité de subir, comme après la capitulation de Closterseven, la honte d’inutiles propositions de paix.

On connait la lettre qu’il avait écrite alors au maréchal de Richelieu[17], lettre assez humble à laquelle l’ait allusion Choiseul ; Richelieu, n’ayant pas d’ordres de sa Cour, n’avait pu répondre que par une fin de non-recevoir. Or, Voltaire avait quelque raison de se considérer comme ayant une part dans cet échec ; prenant sur lui de tenter une entremise, il avait écrit à la sœur de Frédéric pour qu’elle engageât ce prince à solliciter l’intervention du maréchal de Richelieu, puis à celui-ci pour l’instruire de la démarche probable et pour le convier à couronner sa gloire de guerrier par les lauriers du pacificateur. Sa tentative n’avait abouti qu’à la confusion du roi de Prusse ; pourtant il ne se laissait pas décourager par le souvenir de ce premier insuccès, et ce qu’il n’avait pu mener à bien en 1757, il le recommençait en 1759, en s’appuyant cette fois sur le bon vouloir du ministère français. Il entretenait alors un commerce actif de paquets avec Frédéric, qui s’appelle pour la circonstance le banquier de Leipsick et dont les ennemis sont désignés sous le sobriquet de créanciers ; commerce à double partie, les paquets littéraires étant adressés directement à Frédéric et pouvant courir le risque d’être ouverts en route, tandis que les paquets politiques et secrets étaient expédiés par l’intermédiaire d’un homme de paille nommé Pertriset. Voltaire comptait pour l’extension de son rôle sur les facilités que lui créaient ces relations, et ce qui l’encourageait, c’est que ses premières négociations venaient d’avoir un résultat. A la sollicitation de Frédéric, Pitt avait consenti à ce qu’une proposition de congrès pour la paix fût déposée au nom de l’Angleterre et de la Prusse entre les mains des États généraux à la Haye. L’ambassadeur anglais en Hollande avait fait des ouvertures dans le même sens à l’ambassadeur français ; malheureusement les prétentions de l’Angleterre étaient exagérées et la France fut obligée de leur opposer une certaine résistance. Frédéric en avait pris prétexte pour ne rien céder ; il accusait les Français de débattre leurs intérêts les plus graves avec une extrême légèreté el, si les hostilités continuaient, il en rejetait la faute sur le ministère français. Dans toutes ses lettres à Voltaire, nous le voyons exprimer cette opinion, notamment le 19 novembre 1759. « Vous apprendrez par la déclaration de la Haye si, le roi d’Angleterre et moi, nous sommes pacifiques. Cette démarche éclatante ouvrira les yeux au public et fera distinguer les boute-feux de l’Europe de ceux qui aiment l’humanité, la tranquillité et la paix… La France est la maîtresse de s’expliquer… Il est temps de mettre fin à ces horreurs… Tous ces désastres sont une suite de l’ambition de l’Autriche et de la France… »

Jointe aux exigences de Pitt, qui ne voulait de la paix à aucun prix, une demande de restitution de la Lorraine présentée par le roi de Prusse éclaira le ministère français sur les ambitions secrètes de ce prince. Choiseul, qui en avait eu communication par l’entremise de Voltaire, répondit ainsi :


A Versailles, 20 décembre (1759),

« Je réponds, mon cher Hermitte, à vos lettres[18] du 30 novembre, une autre sans datte, à celles des 3 et 15 décembre. J’aime mieux votre lettre du 30 novembre que toutes celles de Luc et même que les exploits des différentes parties belligérantes, vous avés un esprit charmant. J’ai montré cette lettre au Roi et à sa société ; je les ai fort assuré que j’avais trouvé le pupitre, qu’il ne me restait plus qu’à trouver le traité à signer dessus une base aussi agréable ; je ressemblerai, du moins dans cette partie, à Mylord Bolinbroke[19] ; elle m’inspirera et me donnera peut-être quelques autres ressemblances avec ce ministre ; en attendant, je vous remercie du plaisir que vous m’avés fait par votre lettre, il y avait longtems que je n’en avais eu en lisant des papiers.

« Vous m’avés envoyé deux lettres de Luc, une du 12 novembre et l’autre du 21[20] La première, unie à celle de M. Fink[21], est très honnête pour moi : il y a une vérité, qui est que mon écriture est indéchiffrable et que je n’ai point dans la tête les idées romanesques et peu politiques de mon prédécesseur ; mais la deuxième lettre n’est pas si bien ; la plaisanterie ne va pas à la matière, ou, si l’on traite légèrement un intérêt aussi sensible pour ce moment-ci ou pour l’avenir, il ne faut pas se laisser écraser par des fautes multipliées par le…[22] général ; Luc ne nous aime pas tant que nous l’aimons, nous avons peut-être tous deux raison ; mais Luc doit songer à ses intérêts et penser que le mépris qu’il a affecté pour les nations est très dangereux soit à la guerre, soit dans le cabinet. Je me flatte, quelque mépris qu’il ait pour les Français, qu’il ne nous croit pas assés imbéciles pour donner dans le paneau de la Haye ; tout ce que nous pouvons faire de mieux, c’est d’en avoir l’air, parce que l’air de dupe convient à ceux qui sont battus et que, dans toutes les situations, hors en amour, il faut partir du point où l’on est ; mais, gare pour nous, pour Luc, pour l’Europe, l’Asie et l’Amérique, que les Autrichiens ne partent de ce même point et ne veuillent pas abandonner leur pays qu’ils détruisent d’autant par lambeaux ! Quant à nous, je ne connais au Roi qu’une guerre, qui est celle d’Angleterre, et qu’un moyen de la terminer, qui est la médiation de l’Espagne. La guerre d’Allemagne ne nous intéresse pas personnellement et nous ne demandons pas mieux qu’elle soit finie à la satisfaction des parties belligérantes, car certainement nous ne voulons rien dans cette partie. Voilà au naturel ce que je pense, et dont je ne me départirai pas. Luc a trop d’esprit pour nous parler de restitution de la Lorraine et pour continuer ses sarcasmes contre nous. Mandés lui que, malgré nos échecs et d’après les siens, le Roi pourra perdre pour un tems ses possessions d’Amérique, mais qu’il est encore le maître d’anéantir, si il le voulait, la puissance prussienne. Si la paix ne se fait pas cet hyver, il ne nous restera plus que ce parti à prendre, et il faudra bien s’y soumettre, quelque dangereux qu’il soit.

« A Dieu, mon cher Hermitte ; voilà tout ce que je peux vous répondre à vos lettres. Je vais me consoler avec mon pupitre de l’ambition, de l’animosité, de la cruauté, de la fausseté des princes… »

Cependant, tout en se flattant que le pouvoir d’anéantir le roi de Prusse reste au roi de France, Choiseul avoue que le parti lui paraît dangereux, si dangereux même qu’après l’échec des conférences de la Haye, à la veille d’une nouvelle campagne, il écrit lettres sur lettres pour engager Voltaire à persuader à Frédéric qu’il était perdu, lui Frédéric, s’il ne faisait pas la paix et s’il n’insistait pas auprès de l’Angleterre afin qu’elle réduisît ses prétentions.


Ce 14 janvier (1760),

« Luc, sans généraux, sans vertus, sans conduite, cédera tôt ou tard à la toque bénite[23] et, quand cela sera fait, qui le relèvera ? Ce ne sera pas la France, encore moins l’Angleterre. Il faut que Luc soit fol à mettre aux petites maisons de Vienne, si il ne fait pas l’impossible pour engager l’Angleterre à faire la paix cet hyver ; car, sans cette paix, qu’arrivera-t-il ? Que la France fera la guerre, que, la faisant avec désavantage sur mer, elle tâchera de s’en dédommager par des efforts sur terre, qu’elle sera forcée de se lier plus fortement pour cet objet avec la Russie et Vienne, que Luc sera anéanti, parce que sa puissance n’est pas une puissance de consistance, que nous ne ferons pas toujours les mêmes fautes et que, Luc terrassé, chacun cherchera à s’accomoder et pensera à se mettre en système sans songer à l’acteur que l’on aura ôté de la scène. Je pense en honneur et en vérité ce que je vous mande ; mais je vous prie de ne le lui pas écrire ; il m’a joué le tour d’envoyer en Angleterre la lettre que je vous ai écrite en été[24] ; de là elle a fait plus de chemin, car la nouvelle m’est venue par Pétersbourg ; j’aurais quelques petits reproches à vous faire, de confier des lettres que je vous écris d’amitié, et sans trop faire d’attention à ce qu’elles contiennent, et de les confier à qui, à quelqu’un qui mésuse de la liberté qui doit régner dans ces sortes de lettres au point de les envoyer en Angleterre et en Russie. Je ne désavoue jamais ce que je dis ou ce que j’écris, parce que j’espère ne rien dire de malhonnête ; mais cependant je ne connais pas assés l’impératrice de Russie pour avoir la confiance que l’on lui communique toutes les lettres d’amitié que je peux vous écrire. Cette aventure m’a dégoûté absolument ; elle est déplaisante, elle ne produira rien à Luc, mais elle me donne une leçon vis-à-vis de lui dont je me souviendrai. Cet homme ne sait peut-être pas que j’ai la réputation d’avoir eu de l’ambition et que je n’en ai pas l’ombre, que je hais les affaires à mort, que j’aime mon plaisir comme si j’avais vingt ans, que je m’embarrasse fort peu de l’argent, et que la fortune la plus médiocre qui me ferait vivre me serait suffisante ; que je crois, sûrement par sottise et par hauteur, qu’hors à mon maître, quand j’ai fait la révérance à un souverain, je lui ai rendu tout ce que je lui dois ; que je ne suis point étourdi ni par la gloire, ni par la chute des rois, et qu’enfin j’aime plus que tout la société, la bonne foi et la douceur, et quand on m’a manqué une fois, Luc serait-il cent fois plus grand qu’il n’est et qu’il ne sera, on manquera peut-être au Roi mon maître, mais on n’attrapera plus son ministre.

« La Russie n’a pas manqué de nous faire passer les soupçons obligeans que l’on lui avait donnés contre nous ; l’éclaircissement a été aussi un peu prompt, car nous ne sommes pas en guerre contre le roi de Prusse et par conséquent ne pouvons pas traiter avec lui d’une paix particulière ; ce sont ses ennemis ou ses alliés qui peuvent faire sa paix, mais ce n’est pas nous, et, à moins qu’il n’ait un acharnement décidé contre la France, il a grand tort de chercher à nuire à notre réputation en semant des soupçons.

« A bon entendeur salut. Si vous vous serves de quelque phrase de cette lettre, vous les copierés et les ajouterés, mais surtout en disant que je vous ai grondé et que je suis de mauvaise humeur de ce qui est arrivé en Russie ; ce qui effectivement est vilain en pure perte.

« Si vous croyés pouvoir mander à Luc que vous m’avés envoyé sa lettre ostensible du 18[25], mandés lui que je vous réponds affirmativement qu’il n’est pas plus question des Pays-Bas pour l’Infant D. Philippe que de la Champagne pour le Mogol ; il a les nouvelles des anciens rêves, si il pense que l’on songe encore à ces déplacemens ridicules. La France est raisonnable vis-à-vis de l’Angleterre, qui ne doit pas prendre un ton si peu modéré ; car, malgré ces victoires, nous soutiendrons la guerre encore plus longtemps qu’elle, il est vrai que ce serait avec le malheur de ne pas faire le carême commodément, mais Notre Saint Père le Pape nous en dispensera. Quant à l’Allemagne, le roi de Prusse peut être sûr que la France ne veut ni n’espère aucun dédommagement et qu’elle abandonne toute vue dans ce genre à l’espoir de voir la tranquillité établie. Autrefois nous nous sommes emportés, mais j’ai suivi depuis un système très modéré, il ne changera pas ; mais je vous assure qu’en même temps j’aimerais mieux mourir que de ne pas soutenir cette modération avec la plus grande hauteur. Je ne parle pas des injures que le roi de Prusse et les Anglais disent et impriment de nous ; Je plus profond mépris est le seul dédommagement de pareilles insultes. Adieu, etc. Vous serés toujours dans mon cœur un ami tendre et estimable, et sur le dessus de lettre un gentilhomme ordinaire du Roi. »


Le vieil ermite qui, pour égayer sa solitude, s’était fait le nouvelliste des grands livrait les secrets des uns pour attirer les secrets des autres et, puisqu’il avait envoyé au ministre français la copie d’une lettre émanant du roi de Prusse, il jugeait la réciproque toute naturelle. C’est ainsi qu’il écrivait à Frédéric[26] : «… Je ne puis m’empêcher de vous envoyer la réponse qu’on m’a faite. Je puis bien trahir un duc et pair, ayant trahi un roi, mais, je vous en conjure, n’en faites semblant. Tachez, Sire, de déchiffrer l’écriture. »

Il faut croire que les intéressés trouvaient à ce jeu des secrets trahis un système de compensation suffisant, car ils ne cessaient pas d’y donner prétexte. Toutefois, si Choiseul affecte de ne pas attacher trop d’importance à la fuite de sa lettre confidentielle, il en garde plus d’humeur qu’il n’en veut avouer, et, devant ses reproches, Voltaire put craindre une diminution de faveur. Il s’en ouvrit à d’Argental[27] : «… A propos, j’ai toujours peur d’avoir fait quelques sottises entre M. le duc de Choiseul et Luc. Je tache cependant de ne me point brûler avec des charbons ardens. Je me flatte que M. le duc de Choiseul n’est pas mécontent de ma conduite et qu’il n’a que des preuves de mon zèle et de ma tendre reconnaissance pour ses bontés. Seriez-vous assez aimable pour m’assurer qu’il me les continue ?… »

Choiseul, dont l’esprit était trop léger pour s’arrêter longtemps à une affaire désagréable, n’avait pu garder rancune à Voltaire, et par la lettre suivante, qui rassurait de la continuation de ses bonnes grâces, il le confirme dans le rôle de confident.


A Versailles, ce 22 avril (1760).

« La lettre que vous me confiés dattée de Frieberg du 25 mars[28], mon cher Solitaire, me paraît d’autant plus extraordinaire que j’en ai vu une du même personnage et à peu près du même tems, qui n’avait pas le ton si fier. Quoi qu’il en soit, je vous prie d’assurer le roi de Prusse, que je suis son très humble serviteur, que je respecte profondément sa dignité de roi, mais qu’hors la personne de mon maître que j’aime, je ne me soucie pas plus des autres rois de la terre que des chartiers de Touquin, même de ceux de Berlin, si il en reste dans ce petit et malheureux pays. Vous ajouterés à Sa Majesté prussienne, et je vous demande en grâce, que je lui défie de jouer un tour approuvé des honnêtes gens à un ministre qui quitterait sa place avec le plus grand plaisir du monde, qui croit que la paix est un bien nécessaire et qui voudrait au prix de son sang la procurer ; qui sert un maître qui ne veut pas acquérir un pouce de terrain sur le continent, et qui consentira pour la tranquillité de son royaume de payer dans les autres parties du monde parce qu’il a été battu. Vous pouvés ajouter que je jure de bonne foi que je n’ai nulle ambition, mais en revanche j’aime mon plaisir à la folie ; je suis riche ; j’ai une très belle et très comode maison à Paris ; ma femme[29] a beaucoup d’esprit ; ce qui est fort extraordinaire, elle ne me fait pas c… ; ma famille et ma société me sont agréables infiniment ; j’aime à faire enrager d’Argental, à boire et à dire des folies jusques à quatre heures du matin avec M. de Richelieu. On a dit que j’avais des maîtresses passables, je les trouve, moi, délicieuses ; dites-moi, je vous prie, quand les soldats du roi de Prusse auraient douze pieds, ce que leur maître peut faire à tout cela ; je ne lui connais que deux tours à me jouer, celui de me faire jetter un sort pour que je sois impuissant (si je m’en doute, j’irai à la messe de paroisse où, au prosne, l’on exorcise les maléfices), ou bien de me faire ordonner par un article de la paix de lire une deuxième fois les œuvres du Philosophe de Sans-Souci, sans goût, sans vers, etc., hors ceux qui sont pillés. Je vous avoue que véritablement ce serait un tour, car je n’ai jamais rien lu de si ennuyeux.

« Au reste, votre réponse à la lettre de Luc est charmante, excepté ce que vous dites de moi, qui n’est pas juste et que je ne mérite point. Je crois qu’il n’y a pas de mal que vous continitiés le commerce ; nous aurons le plaisir de voir de tems en tems comment un Roi chante dans la rue des impertinences quand il a peur ; mais prenés garde de ne rien mettre dans vos lettres qui puisse être communiqué ; car j’ai des certitudes phisiques que cet honnête homme de Luc fait une gazette des confidences les plus intimes qu’il cherche à se procurer. Il faut prendre son parti ; nous n’embellirons pas ce naturel pervers ; mais, qu’il aboyé, morde ou lèche, il faut suivre son système, faire le bien et même le sien dès que l’occasion s’en présentera, sans humeur de notre part, mais avec honneur.

« Mme de Pompadour vous aime de tout son cœur, elle le dit sans cesse ; je suis cause qu’elle ni » vous a pas répondue parce que j’ai oublié de lui rendre la lettre que vous lui avés écrite[30]. L’on m’a montré une Médine dont je suis enchanté ; j’aime mieux cette femme que toutes celles que j’ai aimé ; la chère épouse du héros n’est pas mal, mais le mari, Dieu me pardonne, est un peu trop blafard. En tout, les premiers actes et le cinquième m’enchantent ; les deux autres seront bien au milieu, J’ai vu aussi deux chants de la Pucelle ; je les ai trouvé si jolis que je les viens de prêter à ma femme. Allons, je perds mon tems à bavarder avec vous ; l’écriture et la mauvaise diction de cette lettre vous mettront à la torture. Mon amitié tendre et véritable pour vous obtiendra mon pardon. »

Bien que le ton familier de son badinage pût donner le change sur ses préoccupations, Choiseul voyait grandir ses embarras. Ennemi de tous les soucis, il pouvait donc être sincère en affirmant qu’il ne tenait que médiocrement à sa place de ministre.


A Choisy, ce 8 mai 1760.

« Connaissés-vous, mon cher Solitaire, le chevalier de Courton ? C’est l’homme le plus violent, et malheureusement pour son âme le moins croyant aux miracles que je connaisse. Il a un rhumatisme goutteux sur tout le corps qui le fait souffrir et jurer outre mesure, il se fait choier, retourner et servir par une espèce de gouvernante fort dévote, et dont les oreilles souffrent autant que le corps du Chevalier ; cette femme a imaginé, à part elle, de faire une neuvaine à Sainte Geneviève pour son malade, et de frotter une de ses chemises sur la châsse de la Sainte ; la neuvaine faite, la chemise frottée, elle l’a endossée sur le corps du Chevalier qui ne se doutait pas de la sainteté de sa chemise, mais qui par hazard a été soulage ce jour là de ses maux et a marché ; alors la gouvernante, le voyant infiniment mieux, s’est jettée à ses genoux devant lui et a criée au miracle : Courton a cru qu’elle devenait folle ; à l’instant elle lui a conté ce qu’elle avait faite ; le Chevalier en a ri et juré, il en a été puni, l’effet du miracle s’est dissipé par les plaisanteries du malade, et la goutte est revenue plus forte que jamais ; ce qui prouve qu’il ne faut pas se mocquer de sa gouvernante quand elle fait pour notre bien de bonnes œuvres.

« Cette apologue, très bonne à mettre en vers, me conduit à vous dire que Luc est bien mal informé quand il a pensé que j’étais dans le cas d’être chassé de ma place ; depuis que j’y suis, je vous assure que j’apperçois les nuances de sang froid et que je n’en ai pas vu une qui me fût défavorable ; mais, si Luc veut me procurer ma liberté à cet égard sans me faire manquer à mes devoirs et à mon sentiment pour mon Maître, vous pouvés l’assurer que je ferai tous les samedis une messe à Sainte Geneviève pour le repos de son âme et de son corps pendant sa vie, et que je lui promets qu’instruit par l’exemple de Courton, quand je serai dehors d’ici, je ne me mocquerai, ne me plaindrai, ni ne serai fâché un instant de l’objet de ma dévotion à la Patronne de Paris, Je m’en rapporte à ma dernière lettre, je ne voudrais pas être roi de Prusse, jugés si je me soucie d’être secrétaire d’Etat ; non, ma foi, je ne voudrai pas régner à Berlin et quitter les avantages que je trouve ici dans la vie privée. Au reste écrives, je vous prie, à Luc que j’ai apris qu’il pensait ou voulait faire croire que j’étais capable de tromper ; il me connaît bien mal ; par amour propre, je tâche de me préserver des paneaux que l’on voudrait tendre à la France, mais, par le même amour propre, je crois fermement que le Roi est trop grand pour se servir des petits moyens, ainsi que moi pour les lui conseiller. Je vous en confierai une preuve qui ne vous paraîtra pas équivoque. Il y a quelque tems que par les intrigues des ennemis, ou d’après leur caractère assés soupçonneux, les ambassadeurs de Vienne et de Russie, qui sont ici, me marquèrent des soupçons ; d’abord j’y fis fort peu d’attention ; ils revinrent à la charge, et alors séparément et ensemble je leur déclarai que leurs inquiétudes étaient déplacées, parce que je pouvais leur dire de la part du Roi, et eux pouvaient le mandera leurs Cours, que Sa Majesté, lorsqu’elle voudrait faire la paix, ne la leur cacherait pas, parce qu’elle savait prendre un parti pour le bien de ses affaires hautement, mais qu’il était au dessous d’elle de tromper ; en conséquence le Roi a communiqué à ses alliés qu’il avait une espèce de négociation de commencée entre l’Angleterre et la France, qui pouvait et devait entraîner le rétablissement de la Paix générale ; cette négociation est rompue : mais la démarche de la part du Roi n’en est pas moins certaine ; or vous conviendrés que ce n’est point user de petites finesses que de se conduire aussi nettement. Tant que je serai ici, je ne donnerai pas d’autres conseils. La guerre sera heureuse ou malheureuse, elle durera jusques à extinction de chaleur naturelle ou finira bientôt, mais le Roi ne trompera point et fera ouvertement et sans crainte quelconque toutes les démarches qui lui surviendront ; nous n’aurons pas à nous reprocher de tromper même le roi de Prusse ; voilà ce que vous pouvés mander à Luc, qui vous écrit non pas en ministre ou homme de vos amis qui n’a jamais rougi que lorsqu’il a rotté, actuellement je commence à m’y accoutumer, dans les commencemens cela me faisait de la peine. Adieu, mon cher Solitaire, j’écris à M. de Monpeyroux sur votre affaire ; et je le charge de vous l’aire rendre justice, sans quoi je ferai aussi des procès à ceux qui ne vous la rendent pas. Je vous embrasse de tout mon cœur. »

Cependant, tout en répondant simultanément aux exigences de ses travaux multiples et de sa volumineuse correspondance, Voltaire suivait régulièrement les intérêts de la politique française et, conformément aux encouragemens qu’il avait reçus, continuait le « commerce. » C’est ainsi qu’il venait d’envoyer à Choiseul une épître secrète du roi de Prusse. Impatient de retrouver l’existence agitée qu’il aimait, Frédéric s’apprêtait à mener énergiquement la campagne de 1760 et, le 1er mai, il avait écrit à Voltaire : « Ces filous qui me l’ont la guerre m’ont donné des exemples que j’imiterai au pied de la lettre. Il n’y aura point de congrès à Bréda et je ne poserai les armes qu’après avoir fait encore trois campagnes. Ces polissons verront qu’il ont abusé de mes bonnes dispositions et nous ne signerons la paix que le roi d’Angleterre à Paris et moi à Vienne… Pour votre duc, il ne sera pas longtemps ministre. Songez qu’il a duré deux printemps. Cela est exhorbitant en France, et presque sans exemple… »

C’était pousser jusqu’au défi la raillerie insolente. Choiseul, après avoir pris l’avis du Roi, rédigea une réponse ostensible et particulièrement violente :


À Versailles, ce 25 mai (1760).

« Je ne perds pas de tems à répondre, mon cher Solitaire, à votre lettre du 20[31] de ce mois que je viens de recevoir ; je vous prie de mander à votre Luc, et réellement vous me ferés plaisir de le lui écrire, que nous méprisons autant les injures grossières que les prouesses et les projets ; que, quand nous désirons la Paix, ce n’est pas en vue de nous raccommoder avec Luc, qui fera toujours horreur et qui n’inspirera jamais ni par ses talens les plus médiocres du monde, ni par son courage de cœur et de tête que nous savons nul, ni par la puissance subalterne ; mais comme le Roi, qu’il devrait respecter et qu’il est fait pour respecter de toutes façons, connaît qu’il faut laisser exister pour le plus grand bien de l’ordre général ce qui déshonore la nature, afin de procurer la paix à l’Europe et la préserver des malheurs dont elle gémit, s’est déterminé et se déterminera toujours volontiers, sans songer aux injures des polissons de la rue, à rendre un calme heureux à l’Univers. Il me paraît par la lettre de Luc qu’il y a des Gascons sur le petit trône de Berlin, comme sur les bords de la Garonne ; vous deveriés être choqué de la bêtise arrogante de Luc quand il vous mande cette signature de paix à Vienne et à Paris ; dites lui de ma part que si cet événement arrive ce sera apparemment lorsqu’après une aventure aussi bien imaginée que celle de Maxen il aura été mis aux fers par quelque détachement de l’année de Daun, et que l’on le conduira à Vienne pour y signer la paix. Voilà un plaisant militaire pour oser se rire de pareilles impertinences, tandis que sa famille n’est pas en sûreté dans les casernes de Berlin et qu’il est obligé de faire voyager sa triste femme et les fils de ses frères d’une ville dans une autre de peur qu’ils ne soient pris par des hussards. Il me reste à vous parler de ma stabilité dans le ministère et de mon amour pour les Autrichiens, Je suis juste, et point amoureux, hélas ! Voyés l’injustice ; on croit à Vienne, et M. de Kaunitz en jurerait, que j’aime le roi de Prusse : c’est qu’en politique, quand on occupe une place, on ne doit ni aimer ni haïr ces gens-là, et, en vérité, si je nie laissais aller aux sentimens du cœur dans le cours des affaires, il serait assés simple que je donne la préférence à l’Impératrice sur Luc. Quant à la stabilité de mon ministère, vous savés ce que je pense sur cet objet, et combien j’y suis peu attaché ; je vois ma situation avec le plus grand sang-froid, mais je vous assure, quelle est aussi ferme que situation en ce genre puisse être, et que l’envie que Luc a de mon déplacement serait capable de m’attacher à une place que, par mon goût, je ne serais pas facile de quitter. Au reste, quelque chose qui m’arrive, à moins que Luc ne me fasse empoisonner, et n’envoyé ici quelques petits émissaires pour cet objet, comme il en a adressé un au bailli de Froulay il y a deux mois pour me tromper, soyés certain qu’avant la paix je ne sortirai pas de place ; et si lui et ses alliés veulent absolument continuer la guerre, nous nous donnerons le temps de voir sous mon ministère déployer ses ressorts de guerre et de politique dont il nous menace ; je vous déclare que je n’en ai pas de peur du tout, et que, si j’étais le maître de nos alliés, avant qu’il fût peu, M. Luc serait réduit à aller être général des troupes de la République de Venise.

« Tout ce que je vous mande vous paraîtra fort ; comme j’ai montré au Roi ce que vous m’avés envoyé de Luc, Sa Majesté ne sera pas fâchée que vous lui adressiés ma réponse. Qu’est-ce qu’il pourra vous en arriver ? Ne craignes pas que nous ne soyons pas assés fort pour vous préserver des fureurs de ce grand prince, et je, voudrais pour votre bien et voire tranquilité qu’il se fâchât sérieusement contre vous ; ainsi ayés du courage et envoyés lui copie de mon épître, qu’il connaisse le peu de cas que nous faisons de lui au phisique et au moral, et notre mépris pour ses plates injures.

« Ne vendes pas ce que vous avés dans les fonds publics, je me charge du soin de vos affaires ; si il y avait quelque chose à craindre, je vous avertirais à teins ; les effets sur le Roi valent infiniment mieux que les terres ; j’ai vendu une partie des miennes pour en acquérir, je m’en trouve bien. Au contraire, si vous pouvés être averti quelques mois avant la paix, troqués vos vaches contre du papier et vous ferés un marché excellent.

« Les Anglais ne garderont pas le Canada ; je vous demande en grâce de ne pas juger la pièce avant d’avoir vu le dénouement ; peut-être ne sommes-nous qu’au troisième acte. La catastrophe a été fâcheuse ; mais je vous prépare un cinquième acte où la vertu sera récompensée ; si elle ne l’est pas, j’aurai tort et je permets que le public impatient me siffle ; si elle l’est, son impatience doit me faire un mérite, car elle ne change rien sur mes déterminations. Je ne vous parle plus de Fréron ; j’attends Médine avec impatience, je vous aime, mon cher Solitaire, de tout mon cœur.

« Mme de Pompadour me charge de vous dire mille choses de sa part. »


Voltaire ne partageait nullement l’opinion favorable du duc de Choiseul relativement, aux bons du trésor français, qui du reste devenaient de jour en jour d’un rendement plus aléatoire. Aux exigences de la campagne nouvelle venait s’ajouter la perte presque totale du Canada. Cette colonie avait été envahie par les Anglais en 1759. Malgré l’appel des colons, qui suppliaient la métropole de leur envoyer des secours, le ministère n’avait répondu que par des encouragemens moraux qui masquaient une intention bien arrêtée d’inaction complète. Désespérés, mais non encore abattus, les héroïques défenseurs du Canada, réduits à leurs seules forces, étaient venus attaquer Québec au mois d’avril 1760 ; toujours confians dans les secours attendus de France, ils entreprirent un siège. A la date où Choiseul, annonçant à Voltaire un cinquième acte, comptait pour le dénouement sur le courage de ces quelques milliers d’hommes qui se défendaient si bien et qu’il aidait si peu, les Canadiens étaient encore aux prises avec les Anglais ; mais, ceux-ci se trouvant maîtres presque absolus des mers, un faible convoi n’aurait pas réussi à s’ouvrir une route ; on ne pouvait en envoyer un grand ; les Canadiens durent capituler. C’était la preuve de notre épuisement. Voltaire ne jugea pas le moment opportun pour aggraver la situation en envenimant les vieilles rivalités. Il ne se souciait pas non plus de raviver les colères de Frédéric dont quelque éclat pouvait retomber sur lui, et, malgré le désir formel que lui marquait Choiseul, il tint secrète la lettre précédente, qui avait été écrite pour être communiquée. Sa mauvaise humeur passée, Choiseul le félicita de cette prudente réserve :


A Versailles, ce 16 juin (1760).

« Vous êtes plus sage que moi et vous avés raison, car, si c’est bien fait de n’être pas sage, il ne sied pas mal quelquefois de l’être. Tout bien considéré, il vaut mieux ne pas répondre aux injures, je crois que c’est la guerre des gens de lettres et des Philosophes qui avait échauffé ma tête sur les grossièretés de Luc. Restons-en là et contentons-nous, chacun pour notre rôle, de ne le point craindre quand il pourfendrait tous les Autrichiens, et de le mépriser quand il se battra sans esprit et sans talens avec des injures… »


D’ailleurs, l’attitude présente de Frédéric n’était pas faite pour encourager de telles audaces. Il avait assez mal reçu en effet les dernières avances de Voltaire, ainsi qu’en témoigne cette lettre datée de Radebourg, 21 juin 1760 : « Vous me parlez toujours de la paix, lui dit-il ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour la ménager entre la France et l’Angleterre à mon inclusion. Les Français ont voulu me jouer et je les plante là ; cela est tout simple. Je ne ferai point de paix sans les Anglais, et ceux-là n’en feront point sans moi. Je me ferais plutôt châtrer que de prononcer encore la syllabe de paix à vos Français. Qu’est-ce que signifie cet air pacifique que votre Duc affecte vis-à-vis de moi ? Vous ajoutez qu’il ne peut pas agir selon sa façon de penser. Que m’importe cette façon de penser, s’il n’a point le libre arbitre de se conduire en conséquence ? »

La façon de penser du duc de Choiseul, son idée maîtresse depuis son entrée au ministère, tenait en ces deux lignes : combattre l’Angleterre et la vaincre ; garder l’indépendance de la Prusse et se garantir ainsi des visées ambitieuses des Cours autrichienne et russe. L’orgueil de la Pompadour, le désir de plaire à cette véritable reine, avaient engagé le ministre dans un courant contraire à ces idées et funeste à la France.

Pourtant la situation semblait s’améliorer. Au commencement de la campagne de 1760, Frédéric se trouvait réduit à cent mille soldats, alors que les Cours alliées, qui s’étaient résolues à un grand effort, comptaient deux cent mille Autrichiens, Russes et Impériaux et cent vingt mille Français. Six corps d’armée se trouvaient en présence. Un des corps prussiens, celui du général Fouquet, fut défait à Landshut par le général autrichien Laudhon dès l’ouverture des hostilités, et ce fut le commencement d’une suite de monotones carnages, semblables à ceux des campagnes précédentes.

Au cours de ces alternatives, Voltaire avait changé de langage. Il comprenait que la paix ne pouvait plus sortir que d’un succès décisif, qui l’imposerait à la fureur de guerre à outrance dont était animé Frédéric, et dans ce sens, il écrit coup sur coup à d’Argental : « Je vous en prie, dites à M. le duc de Choiseul qu’il ne doit faire la paix qu’après une campagne triomphante. Je vous conjure de vous servir de toute votre éloquence pour lui dire que, s’il arrive malheur à Luc, il n’en résultera pas malheur à la France… Nota bene : que si Luc était déconfit cette année, nous aurions la paix l’hiver prochain. »

Mais il était écrit que Luc ne serait pas déconfit. S’il ne devait rien gagner, du moins il devait maintenir l’indépendance de ses armes, et, avant même la fin des hostilités, on allait reparler d’une nouvelle campagne. En présence de ces résultats incertains et devant l’avenir plus incertain encore, Choiseul laisse voir le doute et le souci que lui cause la fausse politique dans laquelle ses complaisances de courtisan l’ont engagé :


A Versailles, ce 13 juillet (1760).

« Si Luc était un autre homme et qu’avec ses talens, il eut quelques vertus, par exemple les plus communes, je crois que la politique devrait désirer qu’il ne fût pas anéanti, non seulement pour l’équilibre d’Allemagne, mais même pour celui du Nord ; et je pense que la puissance prussienne, bien conduite, était très bien imaginée pour un système pacifique, sage et juste ; je pense qu’il était plus avantageux à la France que la Prusse tînt la balance de religion que l’Angleterre dans l’Empire, depuis que la faiblesse des Suédois a contrainte la Suède à abandonner efficacement le rôle qu’elle s’était acquise en Allemagne par le traité de Westphalie ; car l’alliance de la France et de la Prusse était une pièce mise selon les circonstances, au traité de Westphalie qui était très bien imaginée, et je vous avoue que j’étais partisan du système que nous suivions avant cette guerre, parce que je le trouvais conséquent, au lieu qu’actuellement l’on ne peut pas dire que nous ayons une base solide, et qu’il sera nécessaire de créer après cette guerre un nouveau système, position toujours délicate pour les grands Etats. Il est peu important pour un royaume et son histoire que Pierre ou Paul soient ministres, et Jeanne ou Marguerite maîtresses, mais, quand on n’est pas ou fol ou le plus étourdi des hommes, on doit trembler de contribuer à déranger ce que les cardinaux de Richelieu et de Mazarin, avec M. d’Avaux, ont édifiés, ce qui a été soutenu pendant soixante ans par Louis XIV et qui a contribué aux succès de son règne et au lustre de sa nation. Il faut être présomptueux à l’excès pour imaginer que l’on substituera au système de ces grands hommes un système équivalent. Voilà cependant la position où nous sommes : cinquante lieues du Canada, la Silésie et la Prusse de plus ou de moins ne sont pas ce qui m’inquiètent, douleur aux vaincus, mais la création d’un système nouveau m’effraye et me fait penser jour et nuit. Vous trouvères, à ce que j’espère, mon cher Solitaire, que je suis prudent et que j’ai raison de réfléchir beaucoup sur la situation de l’Europe après la paix, car c’est de là d’où dépend le bonheur ou l’infortune de l’univers pendant un siècle.

« Quant à Luc, c’est un fol, tout est dit, voilà en quoi consiste le malheur actuel. Si vous lui écrives jamais de nous et lui mandés que vous m’avés fait part de sa décision de ne jamais nous parler de paix, répondés-lui que j’ai répliqué qu’il n’était pas nécessaire qu’il en jurât et qu’il peut être sûr qu’il n’a qu’à se taire ; nous ne lui parlerons pas les premiers ; nous ne lui avons jamais parlé et sommes bien éloignés d’en avoir le moindre désir. Quant au moment présent, c’est notre gloire que les Anglais s’acharnent à soutenir Luc ; plus ils se ruineront pour lui et plus j’en rirai ; la paix ne se fera pas. Si Luc n’existait plus, nous serions trop heureux d’avoir la guerre tête à tête avec les Anglais ; ils seraient bientôt à la raison, malgré leurs 400 vaisseaux. Il est incroyable combien leur commerce a perdu cet hyver par nos armateurs ; or l’Angleterre doit choisir d’être une puissance commerçante ou une puissance militaire, l’on ne peut pas être l’un et l’autre à la fois ; si Luc la rend militaire, l’Europe sera heureuse, car le commerce sera partagé, si elle abandonne les armes pour le commerce, elle aura de l’avantage, mais nous aurons la paix. Luc est un chien enragé, qu’il faut laisser aboyer, il n’a plus que cette consolation ; il me fait pitié, le mensonge et les injures sont les seules armes qui lui resteront bientôt. Voilà bien du rabâchage sans suite, que je ne relirai point, je vous écris en courant sur les matières les plus intéressantes, mais je vous assure que je n’y pense pas en courant. Mandés moi, je vous prie, tout ce qui vous vient dans la tête en politique ; je suis trop heureux de connaître et d’être éclairé par les idées de quelqu’un comme vous dont je respecte autant les lumières. »


En dépit des interruptions que les circonstances amenaient dans l’entremise de Voltaire, quelques incidens survenaient de temps à autre pour le forcer à de nouvelles interventions. Ici, c’est une énigmatique accusation que le hasard a fait découvrir dans une lettre de Frédéric au marquis d’Argens et sur laquelle Choiseul prie son cher Solitaire d’obtenir, s’il le peut, des explications.


(Octobre 1760).

« Écrives vous toujours au roi de Prusse, mon cher Solitaire, ou plutôt ce prince répond-t-il à vos lettres ? Si cela était, vous me rendries un grand service de tâcher de découvrir le sens d’une phrase d’une lettre de S. M. Prussienne au marquis d’Argence[32], qui a été prise par des troupes légères et qui m’est revenue.

« Le roi de Prusse, après avoir parlé assés naturellement de sa situation que nous connaissons comme lui, après avoir dit quelque chose contre la France, ajoute : « Je sais un trait du duc de Choiseul que je vous conterai lorsque je vous verrai. Jamais procédé plus fol ni plus inconséquent n’a flétri un ministre de France depuis que cette monarchie en a. »

« J’ai montré comme de raison cette lettre au Roi et nous avons cherché quel peut être le trait si flétrissant qui m’est reproché par le roi de Prusse ; j’avoue que je ne me suis trouvé ni dans mon ministère ni dans ma vie aucune action qui puisse mériter cette épithète odieuse ; mais il est possible qu’à mon insçu et contre la volonté du Roi, on ait manqué aux égards qui sont dûs au roi de Prusse ; c’est ce motif qui Tait désirer à Sa Majesté de connaître quel est le sujet de plaintes, pour le réparer sans différer, ou en donner une explication satisfaisante à S. M. Prussienne, pour laquelle, malgré tout ce qui a pu lui échaper d’injurieux contre la France, on ne cessera d’avoir les égards qui lui sont dûs à toutes sortes de titres.

« Ainsi donc, mon cher Solitaire, voyés si il vous est possible d’écrire au roi de Prusse, de lui mander que nous avons connaissance de cette phrase et d’en obtenir une explication. La démarche de votre part et de la nôtre est honnête ; si elle ne produit rien, comme ni vous, ni moi, n’irons de notre vie auprès de Spandau, elle n’est d’ailleurs sujette à aucun inconvénient. »


L’explication que Choiseul faisait demander au roi de Prusse le préoccupait assez pour qu’il se montrât impatient d’un prompt éclaircissement. Cependant, si sa vanité souffrait de ce qu’on le traitât d’inconséquent et de fol, nous devons avouer que, dans la lettre suivante, où il se plaint de ces épithètes, il se montre si léger qu’il semble vraiment les justifier ; et, pour ne pas être offusqué du ton d’ironique inconscience avec laquelle il parle du Canada définitivement perdu depuis le 8 septembre, il faut se rappeler qu’à cette triste époque, les défaites des armées étaient considérées comme de fâcheux accidens, sans doute, mais que compensaient en quelque manière la parfaite santé du souverain et la bonne humeur des ministres.


À Versailles, ce 12 octobre (1760).

« Je vous remercie, ma chère Marmotte, du premier tome de Pierre Ier[33]. Il est comme tout ce que vous faites ; vous me dégoûtés des livres ; je brûlerai tout ceux qui ne seront pas de vous ; ils ne font que tenir de la place dans ma chambre et je ne lis que vos ouvrages. Vous me dégouterés même des dépêches ; rien de si saillant cependant que celles qui sortent de la poussière de Ratisbonne. A propos de dépêches, la lettre du roi de Prusse au marquis d’Argens est vraie ; la Cour de Russie me l’a adressée en original. Pourquoi diable ce prince me trouve-t-il fol et inconséquent ? Il est comme ceux qui ont la jaunisse ; je suis curieux de la réponse qu’il vous fera à ma demande ministérielle. On dit que les Russes, les Suédois, les Autrichiens, l’armée de l’Empire, doivent se rendre à Berlin ; cette ville ressemblera à Alexandrie du 12e tome de Cléopâtre.

« Si vous voulés m’adresser un exemplaire de votre histoire de Pierre Ier pour le Roi, je crois que Sa Majesté le recevra avec plaisir.

« Je vous protégerai auprès de Dargental ; cette négociation sera bien difficile ; je suis dans le cas de n’en pas faire d’autres, surtout depuis que j’ai appris que nous avions perdu Montréal et par conséquent tout le Canada. Si vous comptiés sur nous pour les fourures de cet hyver, je vous avertis que c’est en Angleterre qu’il faut vous adresser. Adieu, mon cher Solitaire. »


Décidément la lettre de Frédéric au marquis d’Argens avait atteint son but, si, comme l’en accuse Choiseul, elle n’était qu’une habile manœuvre pour discréditer le ministre auprès des Cours d’Europe. Frédéric l’avait fait circuler en nombreux exemplaires et il avait poussé l’impertinence jusqu’à ne la désavouer qu’à demi, lorsque Voltaire lui en avait adressé, de la part du Duc, des représentations. « Je ne sais, avait-il répondu, quelle lettre on a pu intercepter, que j’écrivais au marquis d’Argens ; il se peut qu’elle soit de moi, peut-être a-t-elle été fabriquée à-Vienne. Je ne connais le duc de Choiseul ni d’Eve ni d’Adam. Peu m’importe qu’il ait des sentimens pacifiques ou guerriers. S’il aime la paix, pourquoi ne la fait-il pas ? »

Ces nouveaux sarcasmes et la lettre de déconsidération qu’ils confirment en essayant à peine d’en atténuer l’effet, avaient touché Choiseul au vif, et l’air d’indifférence forcée qu’il affecte, dans la lettre suivante, prouve combien son dépit est sensible.


A Versailles, ce 19 (novembre 1760).

« Luc est l’homme du monde le plus extraordinaire ; d’après la lettre que je vous ai écrite sur celle que l’on lui attribuait, adressée au marquis d’Argens, la Cour de Pétersbourg m’a dépêché un courier pour m’apporter l’original de cette lettre ; elle est de l’écriture de son secrétaire ; ainsi il n’y a pas de doute sur l’autenticité. Vraisemblablement, Luc a écrit cette lettre dont il a eu l’adresse d’envoyer plusieurs copies en France pour faire crier contre moi ici sur la répugnance qu’il me suppose pour la paix. Les Cours impériales, de leur côté, me l’ont adressée chacune séparément avec une paraphrase pour maigrir contre Luc. L’un et l’autre ont manques leur projet, je ne vois, en honneur et en vérité, mon cher philosophe, que les choses ; je prends de l’humeur quand mon souper est mauvais ou ma maîtresse coquette ou mon ami ingrat, mais les affaires des souverains ne m’en donneront jamais, de même que les propos du public ne me feront ni presser ni retarder les opérations que je croirai utiles ; aussi, dans ce cas particulier, j’ai répondu lanterne aux Impératrices et j’ai nié en France la vérité de la lettre.

Ce prince périra tôt ou tard ; sera-ce un bonheur ou un malheur politique ? On peut assurer du moins que l’humanité gagnera à sa non existence. Si vous êtes chargé de son oraison funèbre, je vous fournirai la division de votre vis-à-vis. Les talens et la témérité de Luc serviront à sa louange, son moral et le défaut de sensibilité de son cœur couvriront sa mémoire de blâme et terniront le désir immodéré de gloire qui l’a fait agir. Voilà ce que j’en penserai après sa mort ; quant à présent, je crois que le pauvre prince ne suit pas bien véritablement ce qu’il veut ; si il souhaite la paix, il est le maître de procurer le bien au monde ; si il veut continuer la guerre, les injures de goujats qui coulent de sa plume n’augmenteront pas ses forces et n’animeront pas davantage ses ennemis contre lui. Il dit dans sa lettre que je suis un scélérat et qu’il ne me connaît pas ; je réponds qu’il est un prince funeste que je ne me soucie pas de connaître. Il vous écrira s : ins doute une nouvelle lettre d’après le carnage qu’il a occasionné auprès de Torgau ; il est certain qu’il a été battu toute la journée et que les Autrichiens ne se sont retirés sous Dresde que d’après le projet qu’ils en avaient formé deux jours avant la bataille. La Cour de Vienne aime bien mieux que le roi de Prusse soit en Saxe qu’en Silésie. Je ne crois pas qu’elle ait raison, mais c’est un fait.

« J’ai écrit à Strasbourg, sur la demande de M. Dargental, pour que M. Dufresnoy reçoive votre balot de Czars et le fasse passer à Vienne. Le Roi a accepté avec toutes sortes de grâce celui que vous lui avés donné.

« On nous fait espérer Tancrède à la Cour ; j’irai y pleurer. Adieu, mon cher Solitaire, je vous embrasse de tout mon cœur.


La bataille de Torgau, dernier épisode de la campagne de 1760, avait été, contrairement à l’interprétation qu’en donne le duc de Choiseul, probablement encore mal informé[34], une victoire pour le roi de Prusse. Daun, d’abord vainqueur, fut, à la nuit, forcé à la retraite par les troupes prussiennes. Les Autrichiens se retirèrent alors sous Dresde, où ils prirent leurs quartiers d’hiver.

La campagne était terminée. Il fallait songer à combler les vides dans l’armée appauvrie par les morts et par les désertions, et, tout en songeant à la paix au sujet de laquelle l’espoir devenait de jour en jour plus chimérique, Choiseul dut donner tous ses soins à la réorganisation des moyens de défense. Au mois de janvier 1761, il avait pris, après la mort du maréchal de Belle-Isle, la place de ministre de la Guerre et l’occupait conjointement avec celle des Affaires étrangères. Il était donc en situation de vérifier par lui-même l’état de nos arsenaux comme il connaissait les intentions des alliés ou des ennemis de la France ; or, la seule ressource qui lui parût rester au Roi, c’était de faire auprès de l’Angleterre de nouvelles tentatives pour obtenir la paix. Cette paix, Louis XV la désirait, car elle devait lui assurer, au moins à l’extérieur, la tranquillité qu’il aimait et que les querelles des Jésuites et l’affaire du Père de la Vallette troublaient singulièrement à l’intérieur. Devant la lassitude du Roi, la favorite se résigna à céder ; Choiseul obtint le consentement de l’Angleterre et, le 29 mars, une proposition de Congrès fut adressée par la France et les alliés à l’Angleterre et à la Prusse, en même temps qu’un projet de conventions particulières était soumis à l’Angleterre par la France. Cependant les intentions secrètes de Pitt étaient fort loin d’être portées pour une paix qui ne pouvait donner à l’Angleterre que ce que celle-ci était sûre de prendre et, lors des discussions relatives aux conditions d’un traité, il rendit impossible toute conciliation par ses exigences humiliantes et ses insolences répétées. Le cabinet de Versailles dut renoncer à l’espoir d’une entente et ce fut alors que Choiseul entama les pourparlers destinés à lier entre elles, par un traité secret, les différentes branches de la maison de Bourbon. Ce traité, qui fut signé le 16 août, prit le nom de Pacte de famille ; il engageait l’Espagne à nous soutenir de sa marine et de ses armes et nous assurait un appui précieux dans l’état de faiblesse où nous nous trouvions.

Le Pacte offrait l’avantage d’être un acheminement vers la fin de nos désastreuses campagnes. Celle de 1761, fâcheusement compromise par la jalousie et la fausse gloriole de deux chefs rivaux, le maréchal de Broglie et le prince de Soubise, n’avait eu d’autre résultat que de faire perdre à l’armée française ce qui lui restait de son ancien prestige, bien affaibli déjà par Hosbach, Crevelt et Minden.

Ce fut vers la marine que Choiseul, maintenant directeur de ce département, concentra les efforts du pays. L’alliance de l’Espagne n’était qu’une espérance de paix et se trouvait bien loin d’en être l’assurance même prochaine ; il fallait pouvoir soutenir notre nouvelle alliée dans la défense de ses colonies, comme elle-même devait coopérer au maintien de nos droits et à la garde de nos possessions, et Choiseul eut le talent de faire offrir au Roi, par les états de Languedoc, de Bourgogne, de Flandre et d’Artois, par le corps de ville et les six corps de marchands de Paris, par le parlement et la ville de Bordeaux, par la ville de Strasbourg et diverses riches corporations, des vaisseaux et de l’argent. Grâce au regain de patriotisme habilement excité par les demandes et les conseils : détournés du ministre, nos chantiers de constructions reprirent leur activité depuis longtemps perdue ; mais, tandis que la France essayait de se ménager ainsi les chances d’une revanche sur mer, les Anglais, poursuivant leurs succès, continuaient à nous dépouiller de nos dernières stations maritimes. Une flotte anglaise venait de s’emparer de la Martinique, en janvier 1762, et il ne nous restait plus rien de toutes nos possessions dans les Petites Antilles.

Contrairement à nous, Frédéric avait pu se féliciter des premiers événemens de la nouvelle année, qui réparait pour lui les désavantages de l’année précédente. A la fin de 1761, les Autrichiens étaient établis en Silésie, les Russes, qui s’étaient emparés de Colberg, se trouvaient à même de recevoir leurs vivres par terre et par mer, ce qui les mettait en mesure de rester sur le terrain des opérations prochaines ; la situation de Frédéric semblait donc très compromise, presque désespérée même, quand un événement imprévu était venu le sauver. L’impératrice de Russie mourait le 5 janvier 1762 et son successeur, son neveu Pierre III, Allemand d’origine, ne descendant que par les femmes de la famille de Pierre le Grand, avait pour le roi de Prusse une admiration fanatique. Dès son avènement, son premier soin fut de mettre à la disposition de Frédéric les mêmes soldats qui, hier encore, menaçaient de le réduire aux pires extrémités et qui désormais allaient l’aider à prendre une triomphante offensive. A l’occasion de ces événemens, Choiseul, qui n’avait pas écrit à Voltaire depuis plusieurs mois, se rappelle à lui en ces termes :


A Versailles, ce 11 avril (1762).

« Je ne vous écris pas, ma chère Marmotte, parce qu’il faut éviter ses amis quand on a de l’humeur ; j’en ai un peu de la Martinique. Quoique je me sois, attendu depuis plusieurs années à cette perte, le moment a été sensible ; j’aimerais mieux que dix mille Czars nous quittassent sur le continent que de perdre un pouce de terre en Amérique ; au lieu de cela, il n’y en a qu’un qui nous abandonne et quel Czar ! et nous perdons la Martinique. Votre ami le roi de Prusse doit être bien à son aise à présent ; je lui souhaitte de la santé et de la gayeté ; voilà les vrais biens, la gloire est une chimère, et la terreur est un plaisir horrible : j’aime mes Suisses à la folie, je voudrais n’être occupé que d’eux, et en particulier de votre jeune Galatin. Adieu, aimable Marmotte, vous êtes heureux ; vous ne travaillés que pour votre plaisir et celui des autres ; bien différent de moi qui ne m’occupe que de faire tout amis et ennemis. Je vous embrasse de tout mon cœur. »


Au ton de cette dernière lettre, on devine combien le ministre était découragé. Sa soumission aux folles entreprises de la favorite l’avait trahi et rien n’était plus morne que le relevé de la campagne de 1762 : campagne de marches et de contremarches, stériles pour les troupes françaises, finalement réduites à l’inaction. Par bonheur pour la France, ces derniers efforts avaient épuisé tous les partis en présence et, le 3 novembre, furent signés à Fontainebleau, entre les Cours de France, d’Espagne et d’Angleterre, des préliminaires de paix. Sitôt débarrassé de ce grand souci, Choiseul écrivit à Voltaire :


A Fontainebleau, ce 12 novembre (1762).

« Je n’ai pas eu le temps de vous répondre, ma chère Marmotte ; j’ai été occupé tout ce mois-ci a finir une petite tracasserie dont mon maître était occupé et qui effectivement commençait à devenir fastidieuse à tout le monde, hors à votre héros qui me paraît n’en être pas las. Je suis son serviteur, mais à présent le jeu ne vaudra pas la chandelle. Paix ou guerre, ma chère Marmotte, je vous aimerai toujours de tout mon cœur. »


N’ayant pu réussir à provoquer trois ans plus tôt une paix qui fût honorable, Voltaire accueillit avec enthousiasme les préliminaires qui devaient aboutir, le 10 février 1763, à la signature définitive. Nous perdions le Canada, la Nouvelle-Ecosse, les îles du Saint-Laurent, le Sénégal, Minorque et une partie des Petites Antilles ; nous devions évacuer l’Allemagne et raser les fortifications de Dunkerque. Il nous était interdit d’armer nos possessions de l’Inde ; enfin il nous fallait céder la Louisiane à l’Espagne en dédommagement de Minorque prise par les Anglais. Ainsi cette paix, conclue par le traité de Paris, et dont se réjouissait Voltaire d’accord avec beaucoup d’esprits de son temps, terminait honteusement une guerre longue, inutile et ruineuse, imposée au Roi par une orgueilleuse maîtresse, et prolongée par l’aveugle incapacité des ministres ; elle consacrait notre ruine comme puissance coloniale ; et elle élevait enfin l’Angleterre à un point de grandeur dont elle ne devait un moment déchoir, au début du XIXe siècle, que pour y remonter presque aussitôt et le dépasser encore de nos jours.


PIERRE CALMETTES.

  1. Paris, 1898, in-18.
  2. Cette date du 20 avril ne s’accorde pas avec ce que dit Voltaire dans ses Mémoires, lorsqu’il rapporte au commencement de mai l’arrivée du paquet contenant l’ode de Frédéric. Il y a là de la part de Voltaire une erreur de détail.
  3. L’orthographe originale a été respectée.
  4. L’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse.
  5. Le 19 mai 1759.
  6. Alors intendant de Bourgogne, province dont Ferney dépendait juridiquement.
  7. Palisson
  8. Datée d’Erfurt. 23 septembre 1757.
  9. Le brevet pour Ferney que Voltaire avait reçu en juin.
  10. Nous n’avons pu retrouver cette lettre.
  11. A Kollin (1757) et à Hochkirchen (14 octobre 1758).
  12. Le marquis Henri-Louis de Choiseul-Meuse.
  13. Boerhaave, le célèbre médecin hollandais.
  14. Paris Montmartel ; garde du Trésor royal.
  15. Choiseul, ambassadeur à Home en 1753, revint en France le 12 février 1757 pour repartir à Vienne en mars.
  16. Nous n’avons pu retrouver cette lettre.
  17. Cette lettre est datée de Rote, 6 septembre 1757.
  18. Ces quatre lettres ne sont pas connues.
  19. Bolingbroke. L’un des négociateurs de la paix d’Utrecht. Il était, au dire de Voltaire lui-même, un des hommes les plus éloquens de son siècle.
  20. La première nous est inconnue. Par celle du 21, Choiseul entend celle de Frédéric à Voltaire du 19.
  21. L’aide de camp de Frédéric.
  22. Le mot est en blanc dans la copie originale.
  23. Le maréchal autrichien Daun, auquel le pape Clément XIII avait envoyé une toque et une épée bénites après la bataille de Hochkirchen.
  24. Nous ne connaissons que celle du 6 juillet 1759, publiée plus haut.
  25. Nous n’avons pu trouver cette lettre.
  26. Le 6 novembre 1759.
  27. Lettre du 27 avril 1760.
  28. Nous ne connaissons vers cette date que la lettre de Frédéric à Voltaire datée de Frieberg, 20 mars 1760.
  29. Louise-Honorine Crozat du Chatel, qu’il avait épousée alors qu’elle avait à peine quinze ans, le 12 décembre 1750.
  30. Cette lettre est inconnue.
  31. Nous n’avons pas trouvé cette lettre.
  32. Cette lettre est publiée dans la Correspondance de Grimm, du mois de septembre 1760.
  33. Ce livre, imprimé en 1759, venait seulement de paraître.
  34. La bataille avait eu lieu le 3 novembre.