Correspondance choisie de Gœthe et Schiller/1/Lettre 14

14.

Lettre de Schiller. Il apprécie le quatrième livre du Wilhelm Meister.
Iéna, le 21 février 1795.

Voici, selon votre désir, le quatrième livre de votre roman. Partout où j’ai trouvé quelque difficulté, j’ai fait un trait à la marge. Vous en trouverez sans peine le sens ; si vous ne le trouvez pas, vous n’y perdrez pas grand’chose.

J’ai une observation particulièrement importante à vous faire, au sujet du présent en argent que Wilhelm reçoit et accepte de la comtesse par l’entremise du baron. Il me semble et c’est aussi la pensée de Humboldt, qu’après les tendres rapports de Wilhelm et de la comtesse, celle-ci ne peut lui offrir un tel présent, surtout par des mains étrangères, et lui ne peut l’accepter. J’ai cherché dans la situation un moyen de sauver la délicatesse des deux personnages, et je crois qu’on pourrait y réussir, si le présent lui était offert comme remboursement de ses frais et s’il l’acceptait à ce titre. Décidez vous-même ; mais dans la forme présente du récit, le lecteur est choqué et se demande comment concilier un tel fait avec la tendresse des sentiments du héros.

D’ailleurs, à la seconde lecture, j’ai trouvé une nouvelle source de plaisir dans la vérité infinie des descriptions et le développement des dissertations sur Hamlet. Quant à ces dernières, je voudrais, uniquement dans l’intérêt de l’enchaînement de l’ensemble et de la variété si bien observée partout ailleurs, que ce sujet ne fût pas traité tout à la fois et d’un seul coup, mais fût interrompu par quelques incidents importants. Lors de la première entrevue avec Serlo, la question est trop vite remise sur le tapis, et il en est de même un peu plus tard, dans la chambre d’Aurélie. En tout cas, ce sont là des riens que le lecteur ne remarquerait même pas, si tout ce qui précède ne l’avait disposé à l’attente de la plus grande variété.

Kœrner, qui m’a écrit hier, m’a expressément recommandé de vous remercier pour tout le plaisir que lui cause Wilhelm Meister. Il n’a pu s’empêcher de mettre en musique quelques passages, qu’il me charge de vous offrir. L’un des morceaux est pour la mandoline, l’autre pour le clavecin. Le premier doit être en vente quelque part à Weimar.

Je suis forcé de vous prier sérieusement de penser à votre troisième numéro des Heures. Cotta me demande instamment de lui envoyer plus tôt les manuscrits, et regarde le 10 du mois comme le terme le plus éloigné pour la réunion des articles. Il faudrait donc que le vôtre partît d’ici le 3. Pensez-vous pouvoir achever pour cette époque le Procureur ? En tout cas, il ne faut pas que ma demande vous importune ; car vous êtes entièrement libre de le destiner au troisième ou au quatrième numéro, puisque l’un des deux ne doit rien contenir de vous.

Nous vous faisons de tout cœur nos compliments ; mes meilleures amitiés à Meyer, je vous prie.

Schiller.