Correspondance avec Élisabeth Castanet


Lettre de Jean Baptiste Say à Élisabeth Castanet
1806-1807


répondu le 27 7bre 1806

Mort de M. Say le père.

Auchy 29 août 1806

Ma pauvre Tante, je viens mêler mon affliction à la vôtre. Ce ne sont pas ceux qui partent qui sont à plaindre, ce sont ceux qui restent.

C’est une disparition à laquelle il fallait s’attendre un peu plus tôt ou un peu plus tard, et c’est au moins un bonheur que ce cher papa ait eu une maladie qui n’ait pas été douloureuse. S’il avait dû conserver sa vie sans conserver sa présence d’esprit, ç’aurait été pour nous et pour lui un bien plus grand malheur encore. Puissions-nous à notre tour terminer comme lui notre existence, chéris et soignés jusqu’au dernier moment !

Nos deux aînés ont amèrement pleuré leur bon-Papa. Les deux petites ne connaissent pas leur malheur. Leur tour n’est pas venu encore de souffrir. Il faudra bien qu’elles en fassent l’expérience. Cela viendra toujours assez tôt.

Ma femme me prie de vous offrir aussi ses tristes consolations. Nous nous efforcerons autant qu’il dépendra de nous d’adoucir la privation que vous éprouverez. Nos enfants à mesure qu’ils grandiront y apporteront du soulagement par leurs caresses.

Je me flattais que le printemps prochain vous nous amèneriez mon père ; hélas ! qui peut faire des projets ! Nous nous reverrons le plus tôt que je pourrai, ma chère Tante. Aimez toujours bien vos neveux et nièces d’Auchy qui sont dans une grande affliction mais qui vous sont bien attachés.

Votre dévoué neveu.

B. Say

Bien des amitiés à ma tante Delaroche.




Naissance d’Alfred Say.

Auchy mardi 14 juillet 1807

Chère Tante, je vous annonce et vous prie d’annoncer à nos chers parents l’arrivée en ce monde d’un nouveau neveu, garçon vigoureux et bien portant qui a fait son entrée hier au soir à près de dix heures. Ma femme a eu un peu de peine et le travail a duré près de 24 heures, mais le résultat a été satisfaisant pour tout le monde, car j’ose dire que nos deux aînés et nos deux cadettes ne désiraient pas un frère moins vivement que nous un fils.

Voilà qui va soutenir un nom qui n’est plus porté par personne plus vieux que moi ; il faut espérer que nous et la famille recevrons par la suite toute satisfaction de ce nouvel hôte.

Assurez en même temps mon Oncle et ma Tante et Alphonsine et François et vous-même, ma chère Tante, de notre tendre attachement.

J’ai eu des nouvelles de votre arrivée par mon associé et j’ai compris aisément quoiqu’il ne me le dise pas, qu’il ne vous a pas laissé le temps de prendre racine en chemin. C’est la manie de l’homme. Tout ce que je peux espérer, c’est que vous soyez bien remise de la fatigue du voyage.

Madame De Loche n’est point encore de retour à Auchy malgré l’ardent désir qu’elle avait de précipiter son retour. M. Godard, son gendre, est parti en même temps qu’elle pour la Normandie où il s’occupe à contrecarrer la terminaison des affaires qui sont l’objet de son voyage. Cet homme, après avoir volé sa belle-mère et nous à Paris, en recevant et en donnant quittance pour nous de quelques sommes, a trouvé qu’il y avait encore quelques moyens de nous faire contrarier là-bas et il a jugé que ce petit plaisir valait les frais du voyage.

La colonie d’Auchy se porte bien. Le vésicatoire qu’on a mis à Adrienne paraissait lui avoir fait du bien. Elle et son frère vous envoient leurs embrassements. Vous en avez aussi beaucoup de la part de ma femme. Ne nous oubliez pas tous deux auprès des Delaroche, et recevez nos tendres amitiés.

J. B. Say

Le petit pavillon est un peu abandonné depuis votre départ. La chaleur y est excessive et nous avons comme vous savez peu d’instants libres.