Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCCV


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 121-123).


DCCCV

À M. ALEXANDRE DUMAS FILS, À VERSAILLES


Nohant, 23 mai 1871.


Mon fils, c’est cela qui est un chef-d’œuvre[1]. Je suis tout heureuse d’avoir senti et pensé comme vous sur tous les points, comme si nous nous étions donné le mot pour communier. Mais comme vous allez au fond des choses et comme vous savez mettre des faits où je ne mets que des intentions ! Et puis comme c’est dit ! développé et serré en même temps, vigoureux, ému et solide.

Il y a là quatre personnages qui ne se relèveront pas des coups qui leur sont portés de main de maître. Je n’aime pas le titre parce qu’il n’appelle pas assez l’attention sur le sujet.

J’ai cru d’abord que c’était une exhumation historique et je reçois tant de brochures indigestes, que je n’aurais pas lu celle-ci sans votre lettre. Pourtant, si j’avais lu seulement dix lignes, je ne m’y serais pas trompée. C’est tellement vous, mais vous entré dans une période de connaissance et de lucidité admirables. Vous souvenez-vous que je vous ai dit, après Diane de Lys, que vous les enterreriez tous.

Je m’en souviens, moi, parce que mon impression était d’une force et d’une certitude complètes. Vous aviez l’air de ne pas vous en douter, vous étiez si jeune ! Je vous ai peut-être révélé à vous-même et c’est une des bonnes choses que j’ai faites en ma vie. Je ne me piquais pas, je ne me pique pas encore d’une grande science des agencements scéniques : ce qui me frappait, c’était un accent de vérité forte dans les situations et les sentiments où les autres n’échappent jamais à la convention. Vous avez fait de rudes progrès depuis ce temps-là. Vous êtes arrivé à savoir ce que vous faites et à imposer votre volonté au public. Vous irez plus loin encore, et toujours plus loin.

Voilà des événements sérieux, aujourd’hui, et bientôt on pourra causer. Savez-vous que cette brochure si impartiale et si amusante, si chaude, si patriotique et si vraie serait bien utile à la création de l’opinion qui doit prévaloir ? Personne ne saura comme vous, dire à tous les partis ce que doit être l’avenir si nous voulons ressusciter. Ce travail est d’actualité encore, il le sera toujours. Il faudrait le publier sous votre nom, car lui ôter cela, c’est lui retirer son effet et sa grande autorité. C’est un tort, mais on ne lit guère les anonymes ; si vous ne vous y décidez pas, j’y consacrerai quelques pages dans la Revue des Deux Mondes en ne trahissant pas votre incognito si vous ne le voulez pas, mais en appelant l’attention sur l’édition. Si vous vous y décidez au contraire, votre nom aura à lui seul plus de poids que toutes mes paroles.

C’est Porel, un de nos réfugiés du moment, qui nous a lu cela ce soir tout d’une haleine et admirablement lu, je dois le dire. Maurice et Lina veulent vous en écrire. Quoique protestants, ils en sont ravis et le petit lecteur, qui est très intelligent, veut que je vous dise qu’il est ravi aussi. Mon ami Duvernet est dans la même joie et désire que vous le sachiez.

Voilà mes commissions faites.

Moi, je vous embrasse avec toutes les bénédictions maternelles.

  1. Lettre de Junius.