Correspondance 1812-1876, 5/1866/DCXXII



DCXXII

À M. THOMAS COUTURE, À PARIS


Palaiseau, 13 décembre 1866.


Cher maître,

Votre ouvrage soulèvera, je crois, des tempêtes, et déjà on veut m’en rendre solidaire. On annonce que ma préface est prête. Cela n’est pas, et, réflexion faite, je ne la ferai pas. Tant que j’ai ignoré la partie qui est toute de critique, et même après avoir écouté la lecture de plusieurs fragments, je vous ai dit oui. Pourtant je vous conseillais de faire de votre ouvrage un traité, sans vous lancer dans l’appréciation des vivants ou des morts de la veille ; vous avez persisté, c’était votre droit indiscutable. Vous avez pourtant modifié votre jugement sur Delacroix quant aux expressions ; mais, j’y ai pensé depuis, le fond reste le même. Il n’en pouvait être autrement.

D’ailleurs, je ne pourrais pas vous demander d’épargner les autres, de faire des réserves, vous m’enverriez promener et vous feriez bien. Mais, moi, j’endosserais, sans conviction et sans lumières suffisantes, une trop forte responsabilité à moins de faire aussi des réserves, et, alors, à quoi bon une préface ? Ça ne serait pas clair, ça ne paraîtrait pas franc. Je vous dis donc non, après vous avoir dit oui, parce que, au dernier moment, quand vous m’enverriez les épreuves, nous ne serions pas d’accord et il serait trop tard pour nous y mettre. Allez droit devant vous, bravez seul, et sans donner le bras à une femme, ce que vous voulez braver.

Votre ouvrage, si remarquable d’exécution, et riche à tant d’égards, gagnera à se présenter seul, je vous en réponds. Consultez de vrais amis, des gens de goût, ils vous diront comme moi.

G. SAND.