Correspondance 1812-1876, 4/1862/DX



DX

À MADAME PAULINE VILLOT, À PARIS


Nohant, 27 février 1862.


Chère bonne amie,

Je ne veux pas vous laisser reposer de moi. Je veux vous tourmenter de mes supplications, pour que vous surmontiez cette atroce douleur.

L’oublier ? non, jamais ! aucun de nous ne veut oublier celui que nous aimions tant. Mais il faut lui survivre avec énergie, afin que son autre vie soit heureuse et que le lien éternel entre nous et lui ne soit pas brisé. Se retrouver ailleurs est la récompense ; pour la mériter, nous devons faire marcher ensemble le courage et le souvenir, le regret tendre et l’espérance vaillante ; c’est ce que le vulgaire ne sait pas faire, c’est ce que vous saurez faire, vous, intelligence d’élite. Cher cousin Frédéric ! il a besoin de vous, et ce pauvre bon Georges ! quelle désolation autour de vous, quelle solitude dans leur vie si vous perdiez la force, le vouloir et la santé ! Et cet excellent cœur si tendre, ce digne Ferri qui faiblit ! Ah ! je le comprends bien, il y a des moments où l’âme se déchire et se brise ! mais pensons aux autres, pensons toujours au bien que nous pouvons leur faire ; car, heureux ou malheureux, nous avons toujours devant nous le devoir du dévouement qui reste le même, et dont aucune souffrance, si amère qu’elle soit, ne nous dispense.

Ah ! comme il était aimé ! toutes les lettres que je reçois sont pleines de lui. Jamais un homme si jeune n’a été si apprécié et si regretté ; que ce soit pour vous une sorte de consolation il n’a connu de la vie que ce qu’elle a de meilleur, l’affection qu’on éprouve et qu’on inspire. Je vous embrasse tendrement tous, et mes enfants, encore aussi, vous disent qu’ils vous aiment.

G. SAND.