Correspondance 1812-1876, 4/1860/CDLIV



CDLIV

À MAURICE SAND, À PARIS


Nohant, 8 février 1860.


Je sais enfin la légende de l’homme sans tête de Launières et autres lieux. Elle est très jolie. C’est dommage que nous ne l’ayons pas eue, à l’article du cornemuseux de tes légendes. Au reste, le fantastique n’est pas encore mort chez nous. Les kobbolds sont déchaînés. Ils sont à Launières : ils emmènent les charrues qui sont dans les cours et vont labourer, la nuit ! Le diable est à Lalleu, dans la maison d’une femme qui ne peut pas mettre de beurre dans sa soupe, sans que quelque chose de rouge s’élance du coin de son foyer pour cracher dans ladite soupe ! On a fait venir le curé pour exorciser. C’est, à coup sûr, une bête de femme, qui s’est brouillée avec son kobbold ou son korigan et qui va le mettre en fuite ; malheur à elle !




Récit de la Tournite[1] sur le château de Briantes.


« Quand j’étais petite drôlesse, ma mère me racontait qu’il y avait eu, dans les temps, un homme de Crevant, appelé Rendy, qui était fermier au château de Briantes, et qui voulut tenter le diable en mangeant des œufs.

» — Qu’est-ce que c’est que tenter le diable en mangeant des œufs ?

» — J’en sa rin ; l’histoire dit comme ça. Il s’en allit tout seul dans une grande chambre du châtiau, et il se mit de manger ses œufs. Quand ça fut au huitième, v’la le diable qui entre, habillé en bourgeois, en monsieur tout à noir, avec un livre dans sa main qu’il pose tout ouvert sur la table et s’en va. Rendy voit bien le livre, mais il ne veut pas le regarder.

» — Sois tranquille, qu’il dit, ton sacré livre, j’y lirai pas !

» Et le v’la de manger le neuvième œuf.

» Alors monsieur le diable revenit tout en colère ; il dit :

» — Tu y liras !

» Il le prend par le chagnon[2] du cou et Rendy a lu ce qu’il y avait ; mais jamais il a voulu dire quoi que c’était, et le v’la qu’est tombé tout apiami[3], qu’on l’a cru mort. Le monde sont venu, ils l’ont fait revenir ; mais il a dit :

» — Jamais je ne mangerai le dixième œuf ! »




« Tout en haut du château de Briantes, dit encore la Tournite, dans la carcasse du grenier, y a-t-un trou qu’on n’en connaît pas le fond ; on y a mis des perches les unes au bout des autres, on n’a jamais pu y aboter[4]. (C’est l’oubliette ; je crois l’avoir vue.)

» Bien souvent on entendait la nuit, dans cet endroit-là, des voix, des beurmées[5], des alas ! mon Dieu ! tantôt comme de bestiaux, tantôt comme du monde, et le monde du domaine aviont si peur, qu’ils avont jamais voulu y monter. »

L’opinion de la Tournite est que les bêtes reviennent. Une nuit, elle a entendu une ouaille qui gémait[6] à sa porte. Elle s’est levée pour voir, elle n’a rien vu. « Pas putôt recouchée, ça gémait encore. » Elle connaissait bien que c’était une ouaille ; mais elle n’a pas voulu y retourner, parce que ça pouvait être une bête morte.

Il y a encore une ouaille noire qui revient à la carrière de Camus, de tout temps. Le père Bontemps l’a ramenée une nuit jusque chez lui et l’a mise dans son écurie, « Ah oua ! a n’y était pus le lendemain. » (Récit de Gabriel. La Tournite affirme la vérité du fait.)




« La Tournite, étant toute petite, à Briantes (c’est son endroit), a entendu une nuit rebâter[7] au-dessus de la chambre où elle était toute seule avec sa mère. Sa mère l’y a f… une bonne giffle en lui disant :

» — Taise-te ! ça revient.

» Quand une parsonne est morte dans une maison, s’il y a des abeilles et qu’on ne mette pas vitement une peille[8] noire aux ruches, toutes les abeilles meurent dans l’année. » (Tournite.)

Quant à la coutume de jeter toute l’eau qui est dans la chambre du mort, elle existe toujours, mais je n’en peux pas savoir la cause.




Autre récit de la Tournite sur le château de Briantes, qui était des plus hantés.


« Y avait, dans les temps, un jardinier qui voulait allumer du feu dans une chambre d’en bas. Jamais il a pu. Toutes les chaises se mettaient à sauter et à lui tomber sur le dos et à le battre jusqu’à ce qu’il s’en aille. Il y a essayé plus de cent fois, jamais il a pu ! C’était la chambre enragée, oui ! »




Dans tout cela, il y aurait des sujets pour l’illustration. Si tu en fais, renvoie-moi cette note après, pour que je fasse l’article. Hippolyte Beaucheron, le froid et grave cousin de Papet, a couché dans la tour où la dame blanche revient la nuit de Noël. On a tiré brusquement les rideaux de son lit sans qu’il vît personne. Il n’a jamais voulu y recoucher.

  1. Vieille Berrichonne, ancienne cuisinière de Nohant.
  2. Par la nuque.
  3. Près de rendre l’âme.
  4. Y arriver.
  5. Des beuglements.
  6. Gémissait.
  7. Faire du bruit.
  8. Un chiffon.