Correspondance 1812-1876, 4/1858/CDXXXVIII



CDXXXVIII

AU MÊME


Nohant, 12 septembre 1858.


Merci de votre bonne réponse, cher monsieur. Son Altesse a bien voulu, par le même courrier, m’en confirmer les excellentes expressions. Je vous dois et je vous porte cordialement de la reconnaissance pour votre précieuse intervention à propos de mes amis. Mais vous voilà encore forcé de me répondre trois lignes. Dans la note que vous m’avez envoyée pour Patureau, je trouve une obscurité sur laquelle je voudrais être éclaircie, avant de conseiller à celui-ci une localité en Afrique. La note dit bien : En quelle partie de l’Algérie veut-il aller ? mais, dans l’offre généreuse de quarante-neuf hectares, il n’est pas dit qu’il peut les demander n’importe dans quelle province. Puisque, sur les versants du Ressalch, près Sidi-bel-Abbès, province d’Oran, il y a, d’après les renseignements fournis par mon neveu[1], beaucoup de bonnes terres disponibles, j’aurais conseillé à Patureau de s’y rendre, et de demander de la terre par là, où mon neveu et lui, bien que ne se connaissant pas encore, eussent pu se rendre utiles l’un à l’autre. Mais j’ignore si je dois donner cet avis ; cela dépendra du bon plaisir de Son Altesse, et je vous demande ce mot d’explication, qui ne vous coûtera qu’une question à faire et une réponse à transmettre.

Je considérerai comme un grand bonheur pour Patureau de pouvoir s’établir en Afrique, loin des passions de localité, et au sein d’une grande nature qu’il est capable d’apprécier et de seconder. C’est une véritable satisfaction de cœur que je dois là au prince et à vous, mon très gracieux avocat ; je vous en remercie bien, bien, et vous prie de me pardonner mes redites. Pour tout le reste, merci encore, aussi et toujours ! Quand j’irai à Paris, me demandez-vous ? mon exil n’est pas volontaire. Mais la librairie agonise, et on ne peut pas se figurer la gêne et le surcroît de travail de ceux qui vivent de leur plume. Il faut dire cela en confidence à ses amis et qu’ils ne le redisent pas ; car, malgré l’exemple d’un grand poète, je n’admets pas que les poètes ne sachent pas se résigner à manquer d’argent. N’est-ce pas leur état ? Tout le chagrin de l’exil serait l’oubli de ceux que l’on aime ; mais, pour votre part, vous me dites qu’il n’en sera pas ainsi, et je n’ai pas à me plaindre, du reste, des bonnes âmes que j’ai rencontrées sur mon petit chemin.

  1. Oscar Cazamajou.